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En grande surface En thérapie

novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238 | par Pierre Mondot

Pour son nouveau roman, Cher Connard, Virginie Despentes a choisi la forme épistolaire. Bonne idée, voilà un moment que le genre appelait une mise à jour. Les grands modèles que sont les Lettres persanes et Les Liaisons dangereuses paraissent aujourd’hui caducs. Montesquieu parce que la Perse n’existe plus – rachetée par les Qataris. Laclos, parce que son scénario s’effondrerait trop vite : Valmont au premier mail se verrait balancé par la cellule de veille d’un parti progressiste et conduit devant le juge.
En comparaison de ses aînés, Despentes a pas mal dégraissé l’effectif. Deux épistoliers seulement figurent sur sa feuille de match, un écrivain et une actrice (on reste dans l’aristocratie). Pour éviter au lecteur une pénible partie de ping-pong, l’auteure a ajouté une troisième voix en contrepoint du duo. À la correspondance d’Oscar Jayack et Rebecca Latté succèdent, à intervalles réguliers, les articles de Zoé Katana, jeune blogueuse féministe. Le dispositif dessine un triangle irrégulier : deux personnages échangent entre eux mais recueillent et commentent les propos lancés par une troisième à la cantonade (régime énonciatif des réseaux).
Le modèle de Rebecca, revendiqué par l’auteure elle-même, c’est Béatrice Dalle. On a pu voir les deux amies assurer ensemble la promotion du livre à la télévision. Une clef qu’il aurait mieux valu ignorer car le texte se lit ensuite avec en l’oreille le timbre grave et l’élocution boudeuse de Betty dans 37°2 le matin. Heureusement, au fil des pages, l’acouphène disparaît. Comme la romancière n’a pas cherché à singulariser ses locuteurs par des styles différents, les voix finissent par se confondre et après un temps celle de Despentes recouvre toutes les autres.
C’est d’un post Instagram que jaillit l’étincelle à l’origine de la correspondance. Oscar vient de croiser Rebecca dans Paris et ne résiste pas au plaisir de partager publiquement le spleen que cette vision a provoqué : « Métaphore tragique d’une époque qui se barre en couille – cette femme sublime qui initia tant d’adolescents à ce que fut la fascination de la séduction féminine à son apogée – devenue aujourd’hui ce crapaud. » Une amitié éclot pourtant de cette injure liminaire. Est-ce rendre légitime, avec Deneuve et Millet, le droit d’importuner ? Non si l’on considère le point de vue de Zoe Katana : elle était l’attachée de presse d’Oscar avant qu’il ne la harcèle et que son empressement ne la contraigne à démissionner. La romancière s’est appliquée à doubler les situations et les comportements. Chaque argument reçoit en écho sa contradiction, chaque protagoniste présente un visage bifide : « Autant quand tu m’écris, j’ai l’impression que t’es une princesse endolorie, autant comme romancier, t’es un bonhomme. » déclare Rebecca à Oscar. Un garçon au féminin, une fille au masculin. Indochine ? Non, Marivaux plutôt. Mêmes jeux de symétrie, mêmes combinaisons. Et même dynamique : de l’adversité à l’association. Comme les Arlequins du dramaturge, c’est par la dispute que les héros inconstants évoluent puis, à bout de masques, polis et repolis par le langage, presque à vif, font l’expérience de leur altérité.
Le lien qui se tisse entre la vedette et le plumitif ne surgit pas de nulle part, leurs profils auraient sans aucun doute matché sur une application de rencontres : tous les deux ont grandi en Province dans le même quartier, tous les deux connaissent une certaine réussite professionnelle, tous les deux sont héroïnomanes et mal en point au départ. L’écrivain est empêtré dans un scandale #metoo littérature, l’actrice sent venir avec angoisse l’âge de la retraite. Les réalisateurs qui exigeaient « qu’elle se déshabille avant d’arroser les fleurs » la convoquent désormais pour des rôles de ménagères.
Oscar décide d’entamer un sevrage en participant aux rencontres des Narcotiques Anonymes. D’abord méfiante, Rebecca se laisse convaincre et le suit. Le programme de ces réunions va à rebours des slogans de l’époque : non plus Sois toi-même mais Deviens tous les autres. C’est en s’identifiant aux différents témoignages des membres du groupe que les deux complices vont réussir à décrocher.
« Plutôt crever que faire du yoga » répète Rebecca à la fin de ses mails et la formule sonne comme une réponse à Emmanuel Carrère. Avec son roman par lettres, Despentes propose à son tour sa méthode de développement personnel. Parce que son objectif n’est pas de rester sobre mais de se rendre libre, elle oppose aux pouvoirs de la méditation les vertus de la conversation et penche pour la pratique solidaire davantage que pour l’exercice solitaire.
Avec Cher Connard, Despentes dépoussière le genre épistolaire et donne au passage un coup de plumeau à la morale classique des contes de fées. Il ne s’agit plus pour la Belle d’embrasser le crapaud dans l’espoir qu’il se métamorphose en prince, il lui faut simplement l’écouter – car ce crapaud, c’est nous.

En thérapie Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°238 , novembre 2022.
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