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Histoire littéraire À la croisée du mot et de la forme

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240 | par Richard Blin

Inventeur du Merz et d’une façon nouvelle de vivre l’art sans majuscule, Kurt Schwitters est aussi l’auteur d’une intense création littéraire. où l’art du décalage le dispute à celui de l’autoportrait en creux.

L’aventure artistique de Kurt Schwitters, né à Hanovre en 1887, est l’une des plus passionnantes et des plus significatives qui soient. Après avoir étudié la peinture et le dessin, il réalise son premier tableau abstrait et de nombreuses œuvres dans le domaine du collage, de l’assemblage et du tableau-objet, à partir de rebuts de toutes sortes collectés dans la rue ou les décharges publiques. Parallèlement, il invente le Merz, un terme qui apparaît sur un de ses premiers collages, seule syllabe restée visible du mot « KomMERZbank ». Concept qui désigne la libération de toute entrave, le Merz vise à marier entre eux des matériaux divers, et prône l’unité de l’art et du non-art. Tout sera Merz, la peinture, la sculpture, l’architecture, le théâtre, la poésie, comme celle d’Anna Blume (1919), le poème qui le redit célèbre dans les milieux d’avant-garde mais qui ne décida pas les dadaïstes à le reconnaître comme un des leurs. Il rencontre Arp et Raoul Hausmann qui lui inspire la Ursonate, une sonate de sons primitifs qu’il aimera déclamer comme ses scherzos de toux et d’éternuements. En 1924, il entreprend la réalisation de son grand œuvre, le Merzbau, autrement dit la transformation des trois étages de sa maison de Hanovre en œuvre d’art. Considéré comme artiste dégénéré, il doit quitter l’Allemagne dès 1937 pour s’installer en Norvège, un départ qui inaugure une vie d’apatride car qui il devra fuir à nouveau, cette fois vers l’Angleterre, au moment de l’invasion de la Norvège par les troupes nazies. Arrêté, il passera dix-sept mois dans différents camps avant de pouvoir rejoindre Londres, puis de s’installer dans le Lake District, le pays de Coleridge et Wordworth, où il gagnera sa vie en peignant paysages et portraits. Il meurt en 1948.
Son activité plastique, qui a eu une influence considérable sur le développement de la peinture – utilisation de nouvelles matières – ne peut être disjointe de son intense création littéraire, et littérale, s’agissant de sa poésie concrète et élémentaire, tant Schwitters a toujours travaillé simultanément à la transformation du matériau verbal et plastique.
Les vingt-cinq textes, de longueur très variable, que rassemble Homme par-dessus bord ont été écrits ou retravaillés pendant son exil, entre donc, 1937 et sa mort. Ils relèvent soit de la dimension autobiographique et documentaire, soit de l’esthétique du conte qui lui permet d’oublier l’arrière-plan désastreux de la guerre au profit d’une autre scène où règnent la métamorphose et le miraculeux. Le plus long (37 pages), « Je suis assis ici avec Erika », mêle les deux. Schwitters y évoque sa vie sur une petite île norvégienne. Il y séjourne en compagnie d’Erika, sa petite machine à écrire, de son épouse, des deux habitants du lieu et d’animaux domestiques. Il regarde ce qui l’entoure, décrit le paysage, la végétation, la cabane qu’il aménage. Puis observant les animaux, il établit des parallèles avec la société des hommes, et peu à peu le récit quitte une certaine banalité pour bifurquer vers une logique quasi absurde. On va passer de la quête d’un bouton de col perdu à la métamorphose de l’île en désert et de lui-même en pharaon exterminateur avant qu’il ne devienne le directeur de l’exposition universelle dont l’île serait le siège. Revenu à la réalité, il se lance dans l’écriture d’un poème bègue, qui « sonne comme une traduction de Lao-Tseu », mais qui est sans doute aussi une sorte de bras d’honneur à Hitler qui voyait dans l’art des avant-gardes un bégaiement anormal.
Des textes donc à lire aussi entre les lignes, l’incongruité et l’humour étant une manière d’affronter le négatif de l’époque, et d’ouvrir des lucarnes apportant un peu de lumière dans des jours sombres. Finalement, Schwitters raconte ce qu’il ne peut pas peindre, pratique l’écriture comme le collage, non sans parfois céder au pur plaisir d’écrire.
Touche-à-tout de génie, poète in progress, écrivain prolixe (ses écrits complets comptent cinq tomes), Schwitters a déniaisé les notions d’art et favorisé, avec le Merz, l’expression dans ce qu’elle peut avoir de plus vivant et spontané. Cet esprit Merz, Sabine Macher, la traductrice, l’exploite dans une passionnante postface de 70 pages, « Comment je me suis traduit Kurt Schwitters », qui transforme chaque page, ou presque, en un tableau où texte, documents, notes, crayonnage, pensée en train de se vivre, se mêlent aussi élégamment qu’hardiment.

Richard Blin

Homme par-dessus bord
Kurt Schwitters
Traduit de l’allemand et de l’anglais par Sabine Macher,
Trente-trois morceaux, 284 pages, 23

À la croisée du mot et de la forme Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
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