Un livre

L' Envers des ombres

de Céline Navarre

Editions Gallimard

Un carrousel de sensations, des cascades de silence suffoqué, une sorte de plain-chant saturé de gravité fugitive et de mélancolie moirée, il retient le premier roman de Céline Navarre. Après plusieurs années à Paris, Lily, la narratrice, est de retour dans le village des Vosges où elle a grandi. Entre un passé qui refuse d’être oublié et un présent à construire, s’installe un jeu de miroirs. Chapitre après chapitre vont alterner le souvenir des aléas de sa vie parisienne, de ses tout premiers pas dans l’édition, et la reviviscence des fêlures de son enfance heurtée sur fond de recherches pour retrouver une mère que Lily n’a plus revue depuis l’été de ses 8 ans, et qui vient de s’enfuir de la clinique où elle « vivotait dans un brouillard épais, à phares éteints ».
Un roman où le regard joue un rôle essentiel, cherche le cœur vivant des choses avec une sorte de détachement exalté. « Je pense que je ne peux entrevoir la réalité qu’à travers les images de cinéma. » À travers aussi la prégnance des détails, la perspicacité des comparaisons, qu’il s’agisse des mains de l’amant sur elle, qui ont « le spleen gracieux des instants éphémères », d’une peau « tiède comme un manuscrit sortant d’une photocopieuse » ou des « blocs de sel râpés » qu’on peut voir dans les pâtures et qui « ont le minimalisme des bols suédois à la mode ». Une acuité de regard qui donne à la voix de Lily, perdue rive-gauche comme dans les Vosges, une vraie présence, et lui permet d’élargir le monde, de déplacer l’angoisse, d’oublier un instant les désillusions d’une vie sur laquelle planent les ombres muettes d’un père disparu, d’un éditeur odieux, d’une histoire d’amour tout en demi-teinte. « Nous ne nous sommes pas quittés, je l’ai simplement rendu après l’avoir emprunté, comme un livre de bibliothèque ».

Richard Blin

L’Envers des ombres
Céline Navarre
Gallimard, 158 pages, 17,50 €