Un pays aussi étrange et intense que l’Islande ne peut pas engendrer de littérature tiède. Déperdition de la chaleur humaine commence pourtant doucement. Le narrateur nous parle de son « ami dépressif », salement atteint, à tel point qu’il se trouve interné en hôpital psychiatrique. Évidemment, le plus fou des deux n’est pas celui qu’on croit. Et le dessin sur la couverture du livre (une femme ligotée et bâillonnée qui roule des yeux furieux) laisse deviner que les deux amis ne vont pas effectuer docilement tout ce que l’institution médicale attend d’eux.
Le personnage qui fait tout déraper est celui d’une infirmière sadique et cinglée, accro aux applis et à TikTok, qu’ils appellent la mère Fouettard. C’est elle qui provoque révolte, évasion et voyage halluciné sur les routes et les pistes d’Islande.
Bergsveinn Birgisson, docteur en philologie nordique, a rencontré le succès avec son roman épistolaire La Lettre à Helga (Zulma, 2013). Un livre qui était ancré dans la terre de son pays. Ici, on décolle vite de la réalité. Pendant que la folle leur fait des misères (elle va jusqu’à prédire à l’auteur du livre – oui, on finit par ne plus savoir qui est qui – qu’il ne parviendra jamais à terminer son histoire, et que le livre en cours d’écriture est un fiasco total), le duo d’amis se soutient mutuellement. « Il faut que tu t’agrippes à la vie à t’en blanchir les phalanges ! », lance l’un à l’autre. Cette fable sur l’amitié, la liberté, et le monde comme il va, distille des passages délicieux de méchanceté comme celui où la mère Fouettard annonce à l’ami sa mort prochaine et détaille ses obsèques, en présence de peu de monde. Et on ne vous raconte pas la théorie d’un vieux barbu concernant l’influence des champignons hallucinogènes sur la composition des sagas islandaises…
Anne Kiesel
Déperdition de la chaleur humaine
Bergsveinn Birgisson
Traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson
190 pages, 22 €
Domaine étranger Déperdition de la chaleur humaine
mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241
| par
Anne Kiesel
Un livre
Par
Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°241
, mars 2023.