La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Traduction Maud Mabillard*

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242

La Révolte, de Nikolaï Kononov

Quand j’ai entendu parler de La Révolte à Krasnoïarsk, aux débats du prix littéraire NOS où le livre était finaliste en 2019, j’ai dressé l’oreille, mais j’étais sceptique. L’histoire m’a immédiatement attirée : celle – réelle – de Sergueï Soloviev (1916-2009), qui participa à la révolte de Norilsk, l’une des rares tentatives de soulèvement de l’histoire du Goulag soviétique. En revanche, l’auteur, Nikolaï Kononov, un Moscovite de 40 ans, journaliste économique ayant écrit un livre sur Pavel Dourov (le « Mark Zuckerberg russe ») et travaillé pour Forbes, me semblait peu qualifié pour un tel sujet. Sans compter qu’en Russie la littérature du Goulag est traditionnellement réservée à ceux qui l’ont connu, les Soljenitsyne, Chalamov, Guinzbourg.
Je ne m’étais pas trompée sur Sergueï Soloviev : sa vie extraordinaire, ignorée même en Russie, devait absolument être racontée. Il a subi la guerre, les camps de prisonniers, un enrôlement dans les troupes russes collaborationnistes – la future armée Vlassov –, le camp de concentration de Natzweiler-Struthof, en Alsace, pour avoir refusé de prendre les armes contre les partisans soviétiques, puis presque trente ans de Goulag (Norilsk, la Kolyma, la Mordovie), sans jamais renoncer à résister, affirmant toujours la possibilité de faire un choix.
Par contre, j’avais eu tort de vouloir disqualifier Nikolaï Kononov. Il s’est emparé de l’histoire avec une réelle délicatesse, et son parti pris d’écrire un « roman documentaire », se basant sur des archives, mais faisant vivre Soloviev par la fiction, se mettant à la place de son protagoniste et disant « je » pour voir le monde par ses yeux, donne une grande puissance au récit.
On peut être désarçonné, au début du livre, par les informations fragmentaires sur le présent et le passé de Soloviev ; on a l’impression de prendre l’histoire au vol. Le style étonne, il y a une étrange retenue dans la façon d’exprimer les émotions. Au fil de la lecture, on comprend que l’auteur s’est inspiré d’un document autobiographique, le « carnet de rêves » de Soloviev, tenu entre 1964 et 1980, pendant les années de camp. Soloviev notait ses rêves au lieu d’écrire son journal intime – moyen d’éviter la censure, et de dissimuler des épisodes de sa vie au sein d’authentiques visions oniriques. Une dizaine de rêves de ce carnet sont reproduits dans La Révolte. On y reconnaît des particularités de style que Nikolaï Kononov a étendues à l’ensemble du livre : les mots « en français dans le texte » (souvenirs de quelques années passées en Belgique), le « je » du narrateur, ses descriptions minutieuses, son détachement quand il relate ses émotions. J’ai donc porté toute mon attention à la traduction de ces rêves pour « entrer » dans l’écriture de Kononov/Soloviev.
À mesure que je progressais dans la traduction du roman, je me suis constitué un lexique sur les outils topographiques des années 1930, puis sur la guerre et les camps allemands ; j’ai consulté des souvenirs de rescapés français de Natzweiler. « Parvenue » à ce camp, j’ai entamé la lecture des Bienveillantes, pour voir si je pouvais faire des parallèles – linguistiques ou autres – entre ces deux romans contemporains portant sur la même époque. Je suis arrivée à deux conclusions. Premièrement : je déconseille vivement de lire les deux livres en même temps (il y a des limites à la dose d’inhumanité qu’on peut supporter en un jour). Deuxièmement : La Révolte est bien plus proche de Vie et Destin, de Vassili Grossman, que du roman de Jonathan Littell.
Les horreurs de la guerre et du Struthof ne sont qu’un prélude aux camps soviétiques, où Sergueï Soloviev va résister de plus en plus activement – jusqu’à préparer un soulèvement armé au camp de la Kolyma. Ses plans échoueront, mais il aura appris à donner une réponse à toutes les répressions, refusant à jamais de « se cacher sous terre ». C’est cette révolte-là qui ressort en fin de compte du livre, la capacité de Soloviev à conserver sa liberté intérieure. C’est aussi ce qui fait de La Révolte, malgré ses pages sombres, un livre enthousiasmant, porteur d’espoir.
À la fin de ma traduction, je m’étais définitivement attachée à Sergueï Soloviev. J’avais lu son long et unique entretien, donné en 2006, dans l’Altaï, à une journaliste recueillant des témoignages sur la révolte de Norilsk, dans lequel il affirmait : « J’ai 90 ans. J’ai vécu une belle vie. Dangereuse. Joyeuse. Inté- ressante. » J’y avais retrouvé beaucoup de détails et de tournures présents dans le livre, me convainquant une fois de plus que Nikolaï Kononov avait su rester étonnamment fidèle à son personnage, dans la lettre et dans l’esprit.
En plus de mes lexiques, j’avais réuni une collection de photos de paysages, magnifiquement décrits dans le roman. Soloviev était topographe, et Nikolaï Kononov s’est beaucoup penché sur la géographie des lieux. J’ai retrouvé des régions familières, comme celle de Smolensk (Vychegor), parcouru des espaces inconnus, les marais de Rdeïa, la Kolyma, l’Altaï. Certains me sont même apparus en rêve. Ces paysages, vastes ou sauvages, contrepoint essentiel à l’enfermement qu’a si souvent vécu Soloviev, jouent également un rôle clé dans le livre : en tentant de les déchiffrer, Soloviev cherche à comprendre le monde.
La Révolte est un récit très riche, aux nombreuses strates, qui fort heureusement ne se réduit pas au résumé que j’en ai fait ici. Je n’ai abordé que certains aspects, laissant de côté les évasions, la Belgique, ou le thème des vieux-croyants, passant sous silence les personnages qui peuplent ses pages. Je suis reconnaissante aux éditions Noir sur blanc, non seulement de m’avoir confié la traduction, mais d’oser publier le premier roman d’un auteur inconnu en France, sur la vie d’un parfait inconnu, si grandiose soit-elle. Le privilège de la première traduction d’un livre est d’assister à la naissance d’un auteur, d’un récit. Je me réjouis que Sergueï Soloviev commence son existence en français.

* A traduit entre autres Roman Sentchine, Gouzel Iakhina, Mikhail Chichkine, Grigori Sloujitel. La Révolte paraît aux éditions Noir sur blanc (400 pages, 24,50 )

Maud Mabillard*
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
LMDA papier n°242
6,90 
LMDA PDF n°242
4,00