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Domaine étranger Félicité ou infélicité

avril 2023 | Le Matricule des Anges n°242 | par Jérôme Delclos

Au souvenir de Rocco et de Pia trop tôt disparus, Emanuele Trevi questionne l’amitié, l’écriture, et ce qu’est une vie heureuse.

On doit aux Romains le genre de la consolation. Sénèque en a écrit et Boèce sa Consolation de la philosophie. Cicéron, dans son Lelius, dit que par l’amitié « les absents deviennent présents, les pauvres riches, les faibles forts, et ce qui est plus difficile à dire, les morts sont vivants : tant ils inspirent d’estime, de souvenirs, de regrets à leurs amis ». Et il ajoute que par cette amitié des morts, certains vivants sont dignes d’éloges. En 2021 rien n’a changé dans la Ville éternelle, Emanuele Trevi reçoit le Strega, le plus prestigieux des prix italiens, pour Deux vies, une consolation qui raconte deux écrivains morts trop tôt, Rocco Carbone et Pia Pera, ses très estimables, mémorables et regrettés amis.
Du noir et blanc des années 1980 : deux jeunes gens très beaux, une femme et un homme, complices. Elle, c’est Pia, qui retient Emanuele de se cogner aux poutres trop basses dans cette turne sous les combles, « via del Boschetto » chez Rocco que l’on ne voit pas : c’est qu’il prend la photo, et on l’imagine sourire en dépit de son « caractère de merde ». Ou, dit Trevi, de « l’infélicité. Et ses écheveaux gaddiens de causes concomitantes », parce que Rocco, né « sous l’influence de Saturne », se reconnaissait dans la pensée de l’écrivain Carlo Emilio Gadda : l’idée que tout événement, même microscopique, est le centre d’un tourbillon infini de causes. De façon tristement ironique, c’est ce qu’illustrera la mort de Rocco. « Qu’est-ce qu’un accident ? Sans aucun doute quelque chose de réfractaire à toute forme de récit. Exempt du lien de la nécessité, gratuit, imprévisible, il a lieu sans cesser toutefois de nous rappeler qu’il aurait très bien pu ne pas avoir lieu.  »
L’écrivain Rocco Carbone est mort le 17 juillet 2008 à 46 ans, « en s’écrasant à mobylette sur une voiture garée en double file, à quelques mètres de l’impassible statue équestre de Georges Castriote Scanderberg, piazza Albiana, au pied de l’Aventin ». Une dizaine de romans et essais, mais il n’était jamais satisfait de ce qu’il écrivait. Trevi a édité son livre Per il tuo bene (« Pour ton bien », non traduit en français), une enquête en Calabre à la Truman Capote sur des cancers mystérieux sur fond de déchets toxiques et de mafia. Et il s’est démené pour obtenir l’autorisation de planter un olivier à l’endroit de la mort de son ami. Chaque année, lui et un petit groupe se rendent là pour trinquer, et la police municipale engueule Emanuele parce qu’il pisse contre l’arbre, en hommage à Rocco leur dit-il. L’« effrontée et capricieuse », « enchanteresse » et « timide » Pia Pera, elle, est morte en 2016 d’une sclérose en plaques. Elle avait 60 ans, était née en Toscane avec une cuiller en argent dans la bouche contrairement à Rocco le Calabrais. Elle aimait écrire du porno, d’accord en cela avec Trevi pour récuser « l’érotisme », ces « romans pour dames, lesquels sont le seul lieu au monde où les bites se transforment en « membres » et autres agréments du même genre ». Quand elle a tiré sa révérence, elle était retournée sur son lieu de naissance à Lucques pour y mourir. Elle a juste eu le temps d’y achever Ce que je n’ai pas encore dit à mon jardin, bel essai sur la fin de vie, qui par chance est traduit en français.
À la question d’un journaliste de savoir pourquoi il a écrit sur Pia et Rocco, l’auteur a répondu : « Quand ils étaient là, ma vie était meilleure ». Une vie humaine, félicité ou infélicité ? Une question qui tourmente. « “La brève et malheureuse vie de Rocco Carbone.” “Heureuse, malheureuse. Brève.” “La brève et (mal)heureuse vie de Rocco Carbone". » Pia aussi a eu ses malheurs, des échecs d’écriture, par exemple quand elle s’est heurtée à l’impossibilité juridique d’éditer son roman, une réécriture de Lolita de Nabokov du point de vue de Lolita. Mais Pia condamnée par la maladie, résolue à se consacrer corps et âme à un jardin, et écrivant là-dessus dans un touchant contre-la-montre, rééquilibre dans la lumière le côté nocturne de Rocco et la violence de sa mort.
Pudeur de Trevi, qui ne dit jamais si Pia et Rocco étaient amants ou seulement amis, et c’est tant mieux. On se promet de les lire, l’essai de Pia et les rares livres de Rocco traduits en français, et d’aller voir aussi du côté de ceux de Trevi disponibles chez Actes Sud.

Jérôme Delclos

Deux vies
Emanuele Trevi
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer,
Philippe Rey, 155 pages, 17

Félicité ou infélicité Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°242 , avril 2023.
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