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Domaine français Des vies d’artistes

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Guillaume Contré

Dans un roman drôle et emporté, Pierre Escot et Hubert Renard dressent un portrait bien senti du monde de l’art.

L’art contemporain ne manque pas de détracteurs. Les reproches qu’on lui fait sont bien connus et, jusqu’à un certain point, ne manquent pas de justification : grandiloquent mais creux, pratiquant volontiers un gigantisme spectaculaire gonflé à l’hélium et entièrement mis au service du capitalisme mondialisé qu’il fait pourtant mine de dénoncer. Se complaisant dans une laideur artificielle qui n’a plus rien de la puissance provocatrice des avant-gardes historiques, l’art contemporain n’est que vacuité pompière et les biennales qui l’accueillent sont des parcs d’attractions pour snobs.
L’appellation, en réalité, est floue et semble désigner un ensemble difficile à délimiter, dans lequel rentrerait grosso modo tout ce qui ne serait pas directement identifiable en tant que « sculpture » ou « peinture », bref, pour reprendre le titre du remarquable roman qui nous occupe, toute œuvre aux « dimensions variables » : du vague néon scintillant dans une pièce-vide à l’amoncellement d’objets hétéroclites saturant l’espace, en passant par l’œuvre numérique, vidéo, performée, malaxée, gribouillée, manufacturée, etc. Le tourbillon des techniques employées est résumé au détour d’une page dans un « poème des cartels » plus vrai que nature : « Incrustation d’or sur polystyrène ; Fil électrique et coton tige ; Tirage jet d’encre sur galet ; Sérigraphie sur éponge… »
Pierre Escot et Hubert Renard connaissent ce monde de l’intérieur. C’est bien cette position privilégiée qui leur permet d’écrire un roman qui, s’il est souvent satirique, ne se réduit pas à une banale caricature des travers de l’art contemporain et de ses acteurs. C’est une comédie humaine qu’ils proposent, centrée autour d’un personnage-observateur un peu cynique qui traîne d’un vernissage parisien à l’autre en apparentant une saine indifférence, lui qui a renoncé à produire toute œuvre (mais n’hésite pas à contrefaire une de ses anciennes productions lorsque le besoin économique s’en fait sentir).
Le roman se développe comme une mosaïque de situations, de dialogues et de personnages qui, peu à peu, tisse les éléments d’une trame bouffonne, tout en pastichant allègrement les prétentions intellectuelles et les théories fumeuses qui font l’ordinaire du marigot de l’art. Ainsi, le narrateur, « pour compléter (s)a gueule de bois », recense « les occurrences sur internet de tout ce qu’on peut faire subir au réel » : « questionner le réel : 30 600 occurrences ; sublimer le réel : 77 400 ; interroger le réel : 75 600 ; réenchanter le réel : 3910 ; découper le réel : 20 200 », etc.
Si le récit culmine par une carnavalesque remise de prix – les « Burens de l’art contemporain » – dans un long chapitre hilarant et virtuose qui forme une foire aux vanités bien cocaïnée sur un tempo aussi échevelé que les pièces de Copi, les auteurs, en guise de point (littéral) de fuite, inventent un artiste, Luc, qui « depuis des années cherche dans son atelier, l’objet, le seul, l’unique, le premier et le dernier, résumant à lui seul trente ans de recherche ». L’objet, naturellement, n’est jamais le bon (même si, pour un temps, un « roulement à billes » semble faire l’affaire). Son atelier, quoi qu’il en soit, se vide progressivement de tout ce qu’il contient et c’est finalement l’artiste lui-même qui disparaît volontairement sans laisser d’adresse.
On suit, grâce aux extraits du journal qu’il tient, ses pérégrinations d’homme sans identité, loin de la capitale, alors qu’il a converti sa quête conceptuelle en quête tout court, celle peut-être d’un effacement à la Robert Walser. Il ne mourra pas dans la neige, mais s’égarera dans la montagne. Entre-temps, il écrit, entre candeur et lucidité : « je ne vois pas bien de près, je ne vois pas bien de loin : la distance entre moi et moi-même » ; « je voudrais écrire mon curriculum vitae en norvégien et le faire chanter à un baryton » ; « la poussière s’élève dans les rais de lumière. Personne n’est dupe. Je vous connais, je sais qui vous êtes. Vous ne me surprendrez plus. Je connais vos compromissions. Je les ai connues moi aussi. Voulez-vous encore de moi ? Je vous vois hésiter. Vous reculez. Vous êtes petits et loin. Vous reviendrez toujours. J’ai mis des antennes, j’ai posé des balises. Vous avez une tête d’exilé ».
À Paris, pendant ce temps, la vie artistique suit son cours : l’un propose une installation qui, pendant un an, rediffuse l’intégralité des émissions de Thalassa ; l’autre assomme tout le monde avec ses grands discours sur tel courant à la mode. Le narrateur, lui, s’amourache d’une artiste trans canadienne (« je suis en train de visionner votre admirable film Gratefully, Plenty and Full of shit. Ça c’est du titre, ça c’est du film ») et une mystérieuse Italienne recouvre Versailles de fil de fer barbelé. La valse va bon train.

Guillaume Contré

Dimensions variables
Pierre Escot & Hubert Renard
Art&Fiction, 312 pages, 14

Des vies d’artistes Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
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