Dans une langue concise et blanche, c’est une expérience japonaise autant qu’une expérience de dépossession que nous donne à lire le phrasement sensible, le déroulé fragile et tendre du long poème narratif qu’Arnaud Rykner a écrit à Kyoto, à la faveur d’une résidence à la Villa Kujoyama. Par capillarité subtile, il nous transporte dans l’univers quotidien de l’unique habitant d’une île sise au milieu d’un lac entouré de bambous et de montagnes. Il y vit dans une relation à la nature toute de connivence, faite d’entente et de communion tacite, d’unisson avec les éléments, d’attention portée aux couleurs, aux bruits, aux odeurs, à la préparation des repas, à la justesse d’un geste et à sa mélodie. Une façon de vivre au sein de la richesse du peu, d’une « solitude absolue et bienfaisante », d’une beauté pour rien, se suffisant à elle-même. Au gré aussi de la musique du silence et des choses qui échappent au dire. Une vie rendue à la pleine injonction de son immanence et comme enracinée dans l’émoi du monde. « Accueillir ça qui vient, comme le rayon de soleil sur la pluie de la nuit. » Un univers imprégné d’animisme, où chaque chose possède une âme active, où des présences affleurent, où des démons favorables ou malveillants habitent les pierres ou les sources sur fond de complot permanent des apparences. Un monde où tout se joue en termes de respiration entre le vide et le plein, où tout obéit au rythme du Souffle, ce flux d’énergie qui fait vivre et mourir. « Les bambous fleurissent. Forêt morte d’un coup. Et le lac ? Le lac va mourir aussi. » Un livre dont toute la force tient à la résonance qu’il trouve chez son lecteur, et à la façon dont l’auteur sait évoquer ce qui se passe quand il ne se passe rien.
Richard Blin
L’Île du lac
Arnaud Rykner
Le Rouergue, « La brune », 144 pages, 15,90 €
Domaine français L' Île du lac
mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243
| par
Richard Blin
Un livre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°243
, mai 2023.