Un livre

Apulée n°8 - Les Grandes Espérances

de Hubert Haddad

Editions Zulma

En ces jours où règnent le mensonge et l’(auto)censure, où l’imprécation et l’injure remplacent le dialogue, il est rassurant, voire salvateur, qu’existent encore des lieux où se font entendre des voix plurielles et libres. C’est une telle agora que représente, une fois l’an et depuis huit ans maintenant, cette revue hors norme. Hubert Haddad, son rédacteur en chef, précise, dans son bel avant-propos, ce qui fonde et guide cette entreprise : « Apulée n’existe que par le questionnement poétique, toujours sur la brèche, de ce qui advient, par une manière de controverse féconde et démultipliée. Si nous invitons à débattre et à exposer, c’est hors du pré carré des certitudes ». Chacun pourra s’inventer son chemin à travers ces centaines de pages, découvrant ici Aco Sopov, poète macédonien, et là trois poètes bulgares, suivant Jean-Marie Blas de Roblès à Sao Paulo ou se perdant dans Palerme avec Luba Jurgenson. Pour tenter de dire le présent le plus urgent, un copieux dossier fait entendre, mêlant désespoir et beauté, des cris et des chants de l’actuelle révolution iranienne, rassemblés sous le slogan « Femme, vie, liberté », pour lequel aujourd’hui l’on peut être assassiné. Un entretien avec Rachel Ertel tente de cerner la spécificité du yiddish, « entre la prière et le blasphème  », et introduit ainsi un bel ensemble de poèmes écrits dans cette langue survivante, quand, paradoxalement, « l’anéantissement insuffle la force ». Vers le passé nous pouvons rejoindre «  la nuit des poètes assassinés  » en Algérie : Youcef Sebti, Tahar Djaout, Lounès Matoub – et bien sûr Jean Sénac. Alors qu’il fut, au moment de la guerre d’indépendance, sans doute porté par de « grandes espérances », il lui fallut peu à peu dé-chanter, jusqu’à en mourir, conscient jusqu’à son dernier souffle du risque que court, où qu’il vive, le poète : « Maudit trahi traqué / (…) je suis sur vos langues l’écharde / et la tumeur à vos talons ».

Thierry Cecille

Apulée N°8
(Les grandes espérances)
Zulma, 448 pages, 33 €