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Traduction Julia Chardavoine*

juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244

Poubelle, de Sylvia Aguilar Zéleny

Lorsque Benjamin Burguete, alors éditeur au Bruit du monde, m’a demandé mon avis sur le dernier roman de Sylvia Aguilar Zéleny, j’avais entendu parler à maintes reprises de l’auteure, mais je n’avais jamais rien lu d’elle. Sylvia était avant tout, pour moi, la directrice du renommé Master en écriture créative de l’Université de Texas d’où étaient sorties de jeunes écrivaines prometteuses, comme Alaíde Ventura. J’ai alors plongé dans Basura – qui allait devenir Poubelle en français – avec curiosité et dévoré le texte en quelques heures à peine, saisie par la maîtrise du récit et la finesse des personnages.
Poubelle est un roman choral. Trois femmes, qu’en apparence tout sépare, s’expriment tour à tour et, d’un monologue à l’autre, se tisse progressivement une trame dramatique. Il y a d’abord Alicia, une petite fille à l’âge indéfinissable, qui pourrait être déjà vieille et qui a grandi seule dans une décharge de la ville de Ciudad Juárez, au nord du Mexique. Il y a ensuite Gris, une chercheuse travaillant sur les enjeux de santé publique dans une université américaine de l’autre côté de la frontière et confrontée, au quotidien, au progressif déclin de sa tante qui l’a élevée. Il y a enfin Reyna, une femme trans exubérante, généreuse et vulgaire, à la tête d’un réseau de prostituées de la ville. Quel est le lien entre ces femmes ? En apparence, aucun. Pourtant, au fil des pages, le lecteur découvre avec jouissance, et à l’insu des trois personnages, que leurs destins sont étroitement imbriqués.
En tant que traductrice, ce texte m’a posé un vrai défi : faire exister trois voix. Alicia a des phrases brèves, nominales, tronquées. Il lui arrive de se répéter. Son langage est naïf et souvent grossier comme celui d’un enfant des rues, mais aussi profond et poétique à l’image de celle qui en a déjà trop vu et qui a lu des livres de manière désordonnée et vorace. Gris, pour sa part, s’exprime dans des termes plus neutres, quoique sur un ton personnel. Son monologue évoque un journal intime. Ses mots sont choisis, ses phrases élaborées, mais ponctuées du spanglish caractéristique des classes supérieures qui ont grandi, au Mexique, à la frontière avec les États-Unis. Quant à Reyna, elle a recours à une langue drôle et fleurie. Elle débite ses mots à un rythme que l’on suppose accéléré, un flot de paroles, d’expressions argotiques vieillottes et de blagues grivoises. Elle est en dialogue constant avec des interlocuteurs réels ou imaginaires que le lecteur n’entend jamais s’exprimer directement, mais dont il devine sans cesse les réponses.
Afin de donner corps à chacune de ces voix, j’ai décidé de les traduire séparément. D’abord, la voix d’Alicia, c’est-à-dire, les chapitres 1, 4, 7, etc. Puis celle de Gris, c’est-à-dire les chapitres 2, 5, 8, etc. Et enfin, celle de Reyna, les chapitres 3, 6, 9 et ainsi de suite. Je lisais le texte à voix haute en m’imaginant au théâtre. Il fallait que ça sonne juste. Je voulais avoir l’impression d’entendre véritablement le personnage s’exprimer et de le voir surgir sous mes yeux. En l’absence de narrateur, il n’y a jamais de description du contexte, des paysages, des personnages ; et pourtant, l’ensemble reste très visuel car les trois femmes finissent par se croiser et se décrire mutuellement. On imagine, sans la moindre difficulté, la silhouette frêle et la peau grêlée d’Alicia, la pudeur et le malaise de Gris, l’imposante allure et les tenues bariolées de Reyna.
Le paysage urbain de Ciudad Juárez, une ville frontalière connue au Mexique pour ses problèmes de violence, notamment de féminicides, surgit par petits éclats, comme dans un kaléidoscope, au fil des voix. À travers la vie de ces trois femmes, le lecteur découvre l’histoire de la région : les migrants qui se massent à la frontière, les travailleurs qui traversent chaque jour le pont international, le trafic de drogue et le trafic humain, mais aussi les déchets que les États-Unis déversent chez leur voisin du Sud. La décharge est, en effet, au cœur du roman. Bien plus qu’une déchetterie, c’est un lieu de vie, où les objets abandonnés trouvent une nouvelle utilité, où se déroulent des scènes de crime comme des rencontres amicales et amoureuses. La poubelle attire les personnages et les chasse tour à tour. C’est elle, le moteur du récit.
J’avais d’ailleurs initialement envisagé d’intituler le roman Décharge en français. J’aimais la polysémie du terme – la déchetterie certes, mais aussi la décharge électrique qui secoue ou la décharge physique qui libère d’un poids. En effet, loin de tout misérabilisme, ce texte transfigure des situations qui n’auraient pu être que tragiques en un récit qui questionne et qui décoiffe : un roman drôle, impertinent, tendre, et surtout énergisant.

* A traduit entre autres Aura Xilonen, Daria Desombre, Sergueï Chargounov. Poubelle paraît aux éditions Le Bruit du monde (256 pages, 22 )

Julia Chardavoine*
Le Matricule des Anges n°244 , juin 2023.
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