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Intemporels Les caprices de la mer

juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244 | par Didier Garcia

Dans Naufrages, le romancier japonais Akira Yoshimura (1927-2006) hypnotise son lecteur, sans doute pour mieux le réveiller.

Avec son intrigue rudimentaire et ses phrases simples, Naufrages n’a rien d’un tour de force romanesque. Cela n’empêche pas le lecteur d’en sortir un peu sonné, comme si cette écriture d’une grande sobriété était parvenue à l’envoyer contre ces rochers où des bateaux providentiels viennent soudain briser leur coque…
Dans un village enclavé, bordé d’un côté par la mer, de l’autre par une chaîne montagneuse inhospitalière, le jeune Isaku (9 ans) doit pourvoir à la survie de sa famille, son père s’étant vendu pour trois ans à une compagnie maritime. Comme tous les autres hommes, Isaku part chaque jour en mer afin d’y pêcher ce que les saisons successives lui offrent : tour à tour des poulpes, des sardines, des encornets, des maquereaux (chaque espèce nécessitant un savoir-faire spécifique et un apprentissage parfois laborieux). Lorsqu’une pêche est abondante, les femmes partent vers le village le plus proche afin d’y troquer l’excédent contre des céréales, qui améliorent sensiblement leur quotidien. Mais quand les bancs de poissons s’éloignent du rivage, les familles doivent se contenter d’une soupe plus modeste.
Certaines années, le destin vient leur donner un joli de coup de pouce, en envoyant sur les écueils qui émergent en face du village un navire chargé d’une importante cargaison. Un hasard que le village s’ingénie d’ailleurs à favoriser : durant la saison des tempêtes, les villageois entretiennent chaque nuit sur la plage des feux destinés à piéger les bateaux en perdition. Attirés par ces lumières fallacieuses qu’ils s’imaginent être celles d’un port, ils viennent d’eux-mêmes se fracasser sur les récifs. Leur cargaison est alors pillée (les éventuels survivants étant tués sans pitié) et répartie équitablement entre toutes les familles. Au début de la saison des tempêtes, on organise même une véritable cérémonie, avec cortège, prières et rituels, pour « le vœu du naufrage des bateaux ».
Preuve qu’il grandit, quelques pages après le début du roman Isaku se trouve chargé de surveiller et d’entretenir le feu, obtenant ainsi le statut convoité de cuiseur de sel (au-dessus des feux sont placés des chaudrons remplis de sel). Il faudra toutefois patienter jusqu’à la page 80 pour que le premier navire vienne s’échouer. Les sacs de riz récupérés à bord font le bonheur de tous, mais des recherches sont bientôt menées pour retrouver le bateau qui a mystérieusement disparu, ce qui contraint les habitants à cacher dans les montagnes tout ce qu’ils ont pris de manière illégale.
Le roman pourrait s’étirer ainsi sur un demi-siècle, avec cette même lenteur hypnotisante. Malheureusement pour les villageois, les naufrages n’amènent parfois rien de bon. À bord d’un nouveau navire, les hommes découvrent des malades atteints de petite vérole, vraisemblablement envoyés en mer afin de limiter la contagion, mais ayant contaminé les kimonos écarlates que les femmes se sont empressées de récupérer. Pour préserver la société villageoise et lui permettre de subsister, tous ceux qui sont alors malades doivent s’exiler dans la montagne et abandonner leur famille.
Si chacun accepte sans la moindre protestation, avec une sagesse que l’on aura tôt fait de qualifier d’orientale, c’est que dans ce village, rangé sous l’autorité d’un chef, on vit de manière un peu tribale, et probablement comme on y vivait les siècles précédents : « Les naufrages avaient permis à leurs ancêtres de survivre sur cette terre, et les villageois se devaient de perpétuer la tradition. » Une vie simple, régie par des croyances ancestrales que personne ne songe à modifier, rythmée de manière immuable par des cérémonies et des rites (pour inaugurer la saison de la pêche ou éloigner les maladies).
Fait de trois fois rien, à l’image de la vie modeste que l’on mène au village, Naufrages (publié en 1982) est un roman surprenant d’efficacité. On peut bien sûr y voir un document éthologique, l’être humain y étant observé dans son milieu naturel, avec lequel il se doit de composer pour survivre. Mais c’est malgré lui que Yoshimura nous donne à découvrir cet univers : le drame de ce village pourrait se produire n’importe où, puisqu’il est imposé par la fatalité. Comme dans les tragédies que le théâtre continue de jeter sur scène, le destin y joue le rôle du protagoniste, ramenant l’être humain à ce qu’il est : une créature vivante soumise comme les autres à des lois supérieures sur lesquelles elle n’a pas toujours la main. À l’heure où l’homme s’imagine pouvoir tout maîtriser, il n’est peut-être pas vain de lui proposer cette belle piqûre de rappel.

Didier Garcia

Naufrages
Akira Yoshimura
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
Babel, 192 pages, 8,20

Les caprices de la mer Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°244 , juin 2023.
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