Chez Pascal Garnier, on traîne sa carcasse « en chuchotant des pantoufles » ; on se méfie des anges car « depuis que le patron est mort, c’est l’anarchie dans les nuages » ; on plaint les riches même si on les envie bien un peu ces « condamnés pour l’éternité au bonheur » ; on croit se protéger de tout, surtout du pire et du rien, mais « dès qu’on marche on va toujours trop loin » ; selon les heures grises ou bleues de la nuit, on se dit aussi que l’ « on marche beaucoup quand on va nulle part » mais que ça va bien finir un jour, enfin, peut-être ; souvent, on se perd, même accoudé à un bar, une blonde mousseuse et pétillante pour toute compagnie ; on tend l‘oreille aux philosophes de comptoirs, on sourit à leurs blagues à deux sous ; on frémit aux relents de désespoir en demi-teinte, demi-rire, étalé, oublié là comme partout ailleurs : « C’est la vie qu’est mortelle, c’est tout. Surtout pour les pauvres. » Chez Pascal Garnier, le réverbère au coin de la rue « vaporise une lumière blafarde » ; on ne la ramène pas parce que l’on sait de quel côté du manche on est né ; on a sa dignité ; et même si on fanfaronne de temps en temps, on reste les pieds sur terre : « Tout de suite les grands mots ! Je ne te parle pas du grand amour mais de l’amour tout court, celui à tout le monde. » Chez Pascal Garnier, on vit comme on peut, on meurt de solitude, parfois on aide à mourir, pour préserver la beauté, des petits bouts de bonheur. C’est comme cela qu’il s’en sort Gabriel, le héros de La Théorie du panda publié en 2008 et réédité en poche. Lui, n’arrive plus à souffrir, il a trop donné, mais la souffrance des autres lui est insupportable, alors il les accompagne, jusqu’au bout, voilà tout. L’auteur du terrible L’A26 réinvente l’amitié, la solidarité, met en marche une humanité que l’on pensait disparue ou trop absente de la littérature. Il le fait sans chichis, avec des trop pleins d’évidence, une sorte de poésie de la tendresse et de la noirceur, un truc qui n’aurait pas de nom mais qui est tenace. Il bafoue la morale, gomme la frontière entre le bien et le mal forcément et fait du flou une raison de vivre, d’écrire.
Chez Pascal Garnier, on se croirait dans un film en noir et blanc des années 1950. Tout faux, on est en plein dans le monde d’aujourd’hui, celui des rêves enfuis, celui des gens ordinaires, des anonymes, « les gens de peu » qui ne font pas de bruit. À tous ceux-là, Pascal Garnier a donné des pages d’une beauté dérangeante. Il raconte la douceur et la violence, des vies simples et malmenées, des corps fatigués et des yeux illuminés, des innocences perdues et des regrets trop amassés. Ses phrases s’écoulent noires et rouges, incandescentes. Comment va la douleur ? était le titre d’un de ses romans. Elle va tout doux, en sourdine, mais elle va, semble dire Gabriel. Et même si « À part le vent, il n’y a personne dans les rues. », il y a toujours, là-bas, au loin, la petite lumière Pascal Garnier.
Martine Laval
La Théorie du panda
Pascal Garnier
Zulma, 172 p., 9,95 €
Domaine français Ni gris ni bleu
juin 2023 | Le Matricule des Anges n°244
| par
Martine Laval
Poète de la rue décédé en 2010, Pascal Garnier défie le temps avec des romans noirs bouleversants. Réédition de La Théorie du panda.
Un livre
Ni gris ni bleu
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°244
, juin 2023.