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Domaine français Géographie de l’absolu

septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246 | par Richard Blin

Entre alpinisme de l’esprit, algèbre oulipienne et science pataphysique, Le Grand surplomb redéploie le mythe du Mont Analogue.

Le Grand surplomb. Retour au Mont Analogue

Avec la jubilation propre à la transgression, une nouvelle expédition se lance à l’assaut du Mont Analogue, celui à qui René Daumal (1908-1944) a su admirablement donner corps dans son chef-d’œuvre inachevé, paru de manière posthume, en 1952, et dont le sous-titre – « Roman d’aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement authentiques » – nous prévenait que l’histoire était entièrement vraie puisqu’elle avait été totalement imaginée. Une manière de nous faire comprendre qu’il s’agissait avant tout d’accéder à la vision d’une outre-réalité.
C’est donc vers cet ailleurs où l’étrange se glisse que notre expédition va se lancer sous la direction du « Chanoine », un ecclésiastique défroqué, alpiniste chevronné, musicien de talent, philologue et lexicographe de notoriété internationale. Il rêve d’y étudier les effets de l’altitude sur des formes mutantes de la parole. Mais l’affaire n’est pas simple. Le Mont Analogue étant invisible, il lui aura fallu, dans un premier temps, découvrir le lieu où se cache l’île-montagne, puis trouver le moyen de franchir la « courbure de l’espace » la protégeant du reste du monde. Ensuite, il aura dû convaincre le spécialiste mondial du « discolopax » – un oiseau incapable « de se tenir droit, de marcher droit, de voler droit », un « inventeur d’alternatives fondamentales » – de l’accompagner, arguant du fait que c’est autour du Mont Analogue que la densité de population de ces « discolopax » est la plus grande. Ce serait donc l’occasion rêvée de pouvoir étudier la science des « trajectoires anarchiques » propre à ces oiseaux. Quant au reste de l’équipe, il comprendra un groupe de grimpeurs hors pair – deux frères et leur sœur –, une docteure en mathématiques pratiquant « assidûment et avec succès le jeu de go, mais uniquement à l’aveugle », et une poétesse au passé de danseuse, censée tenir le journal de bord de l’expédition.
Dès lors le récit se développe sur plusieurs plans. Celui, très réaliste, de l’avancée de l’expédition, du franchissement de l’enveloppe de courbure, de l’arrivée à Port-des Singes, de la découverte des us et coutumes de la petite société analogue qui y vit, puis du début de la marche vers l’invisible sommet à travers le « Plateau paumatoire », le Village extrême et le Grand surplomb. Le tout sur fond d’inquiétante étrangeté, d’élucubrations du chef de l’expédition, d’explications pataphysiques et d’existence probable d’une parole-non-parlée contenant toute vérité… ce qui est dire combien ce récit s’inscrit dans la veine des Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, d’Alfred Jarry.
Décloisonnant les domaines de connaissances, dépassant les simples oppositions, procédant de manière inductive et par analogies, le Chanoine ne cesse de travailler à la transmutation de l’impossible en possible. Prenant le contre-pied de toutes les affirmations, intervertissant la cause et l’effet, la substance et l’accident comme l’ordre des lettres, il voit dans l’anagramme et le palindrome, la possible clef de tous les secrets. « L’anagramme pourrait être une sorte de subterfuge par lequel la langue serait augmentée au-delà de ce à quoi elle semble se réduire en première lecture. »
Fouiller le langage au-delà de ses apparences, croire que la langue peut contenir en soi une connaissance, c’est, par-delà l’affirmation de la liberté d’inspiration de l’écrivain, passer d’un monde euclidien à un monde analogique, celui de l’équivalence pataphysique de toute chose. « La réalité de la pensée – écrivait Daumal dans La Pataphysique ou la Révélation du rirese meut à travers une chaîne d’absurdités, ceci étant conforme au grand principe que toute évidence se vêt d’absurde comme de la seule manière d’apparaître. D’où l’apparence humoristique du raisonnement pataphysique, qui dès l’abord semble grotesque, puis à y regarder de plus près contenant un sens caché. »
Réécriture parodique du Mont Analogue – quelque peu allégé de son caractère d’utopie mystico-symboliste –, Le Grand surplomb, sur un mode à la fois burlesque et impitoyable qui n’en privilégie pas moins le tranchant du vertige, peut se lire comme une ode au désir, au rêve et aux utopies. La preuve en est peut-être dans la façon dont ne se termine pas le récit – conformément à ce qu’il en était dans le roman de Daumal. Il s’interrompt en effet au beau milieu d’une phrase, laissant au lecteur le loisir d’imaginer son propre sommet et les moyens de l’atteindre. Et ce sur fond d’hommage à la Connaissance comme inaccessible sommet, celle qui vise l’absolu et qui en tant que bataille d’homme, dévore chair et esprit.

Richard Blin

Le Grand surplomb
Edgar Melethy
La Fosse aux ours, 144 pages, 18

Géographie de l’absolu Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°246 , septembre 2023.
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