Deuxième roman de l’Américaine Jean Stafford (1915-1979), Le Puma, publié en 1947, est un bildungsroman subtil et tragique (lorsqu’il tourne court) centré sur les petits Ralph et Molly, cadets d’une famille bourgeoise qui ne s’entendent guère avec leurs grandes sœurs – deux pimbêches bien élevées – et leur mère, conventionnelle et sentencieuse. Molly, fantasque, imprévisible, apprentie écrivaine, se révèle d’ailleurs pour sa progénitrice « d’une profondeur insondable ». Les deux enfants, en réalité, vivent en désaccord avec leur milieu, repliés sur eux-mêmes, ils sont maladifs et trop imaginatifs, victimes d’une vie qui ne leur convient pas et ne leur laisse pas de place. Une vie faite de visites du voisin pasteur, bête et pontifiant, de commérages sur les voisins, de respect des apparences et de glorification d’un grand-père dont le portrait grandiloquent trône dans le salon. Le roman s’ouvre sur une visite de leur autre grand-père, un dur à cuire de la campagne, qui s’est enrichi grâce à l’élevage et ne s’encombre pas de bonnes manières. Ce personnage « bigger than life », incarnation presque caricaturale d’une certaine virilité américaine, solide buveur en temps de prohibition, fascine les deux enfants, comme s’ils y voyaient une fenêtre vers une autre vie possible. Hélas, Grand’Pa Kenyon meurt dès les premières pages et ce sera le fils de ce dernier, l’Oncle Claude qui leur fera découvrir le rude monde de sa ferme du Missouri.
Le roman de Stafford joue en permanence des oppositions, entre ennui bourgeois et brutalité de la vie à la ferme, entre les désirs d’émancipation des deux enfants et leur inadéquation fondamentale. C’est la finesse de l’écriture de Stafford, qui colle aux sensations du petit Ralph, à l’intelligence vive quoique incontrôlée, qui donne toute sa richesse et sa justesse au roman. Sans sentimentalisme et sans effets de manche, il brosse avec humour parfois (un humour qui coince aux entournures) un portrait délicat de l’enfance, des pulsions secrètes qui la traversent et de sa fragilité.
Guillaume Contré
Le Puma
Jean Stafford
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Julien Nègre
Beau Dommage, 208 pages, 21 €
Domaine étranger Le Puma, de Jean Stafford
septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246
| par
Guillaume Contré
Un livre
Le Puma, de Jean Stafford
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°246
, septembre 2023.