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Domaine étranger Les armes du destin

septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246 | par Thierry Guinhut

Apologue féministe, un conte gothique porté par six sœurs, et construit comme une tragédie grecque, par la romancière Sarai Walker.

Les Voleurs d’innocence

Un bouquet de jeunes filles… Elles sont six et portent des prénoms floraux. L’on sait pourtant que les fleurs sont mortelles. Car au sein de ces sœurs refermées sur elles-mêmes, une malédiction frappe la féminité. Malgré la prospérité qui comble cette famille américaine, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, une chape de plomb sexuelle pèse sur les consciences.
Appelée « le gâteau de mariage », l’immense villa victorienne est sous l’égide du père, un immense industriel de l’armement, et de la mère, Belinda, douloureusement égarée, dont « le mariage en lui-même s’était révélé être la plus grande des indignités, à la façon qu’avait eu son mari de se servir de son corps pour son propre plaisir et de la tuer à petit feu avec cette grossesse ». Elle est viciée par l’odeur des roses, obsédée par des fantômes, des visions prémonitoires annonçant la mort de l’aînée, Aster, si elle commet son mariage ; puis après la conséquence sanglante de la nuit de noces, celle de la seconde, Rosalind, qui ne tient en rien compte de l’avertissement. Car, selon Iris, « notre lignée maternelle est un collier enroulé si serré autour de notre cou qu’on ne peut pas respirer ». Ce qu’illustre une comptine du village voisin : « Les sœurs Chapel : / d’abord elles sont mariées / Puis elles sont enterrées ». Hors de cette villa, en une frappante antithèse, le luxueux univers new-yorkais semble permettre une vie rêvée avec un homme : « C’est quoi la vie sans amour ? », demande Zélie avant de succomber à son tour.
Les « voleurs d’innocence » du titre sont à n’en pas douter, mais avec une généralisation abusive, voire dommageable, les hommes : père aux armes meurtrières, « un nuage de pollution morale », maris sacrifiant leurs épouses sous la violence de leur sexualité. Daphne semble en passe d’y échapper car cultivant les amours saphiques ; pourtant elle préfère se noyer. Est-ce la pression sociale, le mythe de la famille heureuse avec des enfants, qui poussent Zélie à sauter le pas ?
Dans un cadre réaliste, le fantastique rôde autour de la maudite Belinda, des plus jeunes attendant le retour de l’esprit de leurs sœurs, alors que la tragédie fauche ses proies, sans pitié pour les plus enjouées, pour les plus douées, comme Calla écrivant des poèmes à la façon d’Emily Dickinson.
Seule la narratrice, Iris, sait échapper à la fatalité, à l’hécatombe. Elle devient l’allégorie de l’accession des femmes à la liberté et à la créativité, au travers de la découverte de l’expressionnisme abstrait, de la nécessité de peindre non plus les objets et les personnes, mais les sentiments. Puis de ses amours avec Lola. À cette occasion, le roman prend un nouvel envol, remarquable. Devenue célèbre, sous le nom de Sylvia Wrenn, elle pratique une peinture florale sexualisée, non sans faire penser à Georgia O’Keeffe, et rédige enfin ses souvenirs dans ses carnets.
Construit comme une tragédie grecque, où l’on lutte contre un implacable destin, le roman progresse au moyen de vastes tableaux vigoureux et sensibles, de détails signifiants, de portraits tendres, effrayants et affûtés, d’un suspense récurrent. La mise en abyme de la création artistique n’est pas sa moindre qualité. Chronique sociale, conte gothique, apologue féministe : toutes ces dimensions irriguent le volume de Sarai Walker, qui s’illustra avec (In)visible (Gallimard, 2017). Au sein d’une trame policière, cet autre roman interroge les critères de beauté de notre société occidentale. Exagérément ronde, Prune est happée parmi la clandestine « Fondation Calliope » dont les femmes rejettent les diktats sociétaux. Quel prix chirurgical et mental payer pour devenir belle ? Une guérilla terroriste aura-t-elle raison des auteurs de violences contre les femmes ?


Thierry Guinhut

Les Voleurs d’innocence
Sarai Walker
Traduit de l’américain par Janique Jouin de Laurens
Gallmeister, 624 p., 26,40

Les armes du destin Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°246 , septembre 2023.
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