Comme un saumon, Sebastian Barry aime à remonter les mémoires jusqu’à leurs sources, mêlant sa propre histoire familiale aux événements de ce monde, pour y révéler de terribles secrets enfouis. Possédant des talents de conteur hors pair, le natif de Dublin, en 1955, érige des récits cathédrales, aux constructions complexes faites d’incessants allers et retours dans l’espace et le temps (les deux guerres mondiales, l’émigration irlandaise outre-atlantique, les guerres indiennes et de Sécession – Un long long chemin, 2006, Le Testament caché, 2009, Des jours sans fin, 2018, Joëlle Losfeld). Ces livres portés par des souffles épiques révèlent la complexité de l’âme humaine en jonglant avec l’ordure et la beauté, la lâcheté et le courage, la vérité et le mensonge. Il pratique aussi la poésie (trois recueils) et l’écriture théâtrale (une douzaine de pièces).
Après deux romans-westerns assez queer, pardon dégenrés, le voici de retour dans l’Irlande des années 1960 aux années 1990, ou le contraire. Tom Kettle, ancien inspecteur de police a choisi de profiter de la retraite la plus passive possible. Il loue un appartement, presqu’une cellule dans un château assez fantastique peuplé d’être décalés, étranges, absents… Il regarde la mer, les rochers, les oiseaux. Est-il dans le présent, les souvenirs ? Sa contemplation, son onirisme vont cesser à la venue de deux jeunes collègues enquêtant autour d’un vieil homicide, perpétré sauvagement sur un religieux en pleine lande. Aperçu près du cadavre, il en est le principal suspect.
Il y a belle lurette que le vieux flic a tout perdu. Sa famille, son honneur, sa carrière. Sa faute : ne pas avoir réussi à dénoncer des pratiques pédophiles au sein de l’Institution catholique irlandaise, des décennies auparavant. Trente ans plus tard, le crime et les abus sexuels remontent à la surface, seront-ils à nouveau étouffés ? « Son histoire était dite, et pourtant il ne l’avait dite à personne. À quel point il se sentait léger. Il s’en émerveillait. Il aurait dû au contraire se sentir lesté. Mais non, pas du tout. Il y avait quelque chose dans ces profondes journées d’été qu’il trouvait délicieux. La mer haussait les épaules sous les effets de la chaleur, allez savoir quelle quantité d’elle-même se dissipait dans les airs. »
Au bon vieux temps de Dieu, contrairement aux romans précédents, a des airs de huis clos presque immatériel. Il nous projette dans la tête d’un être qui n’en a plus ou plutôt qui se considérant comme fou, émet des doutes sur la réalité de sa propre folie. C’est un roman crépusculaire, pudique, presque intimiste, qui s’effiloche tout en cernant la matérialité du mal, l’abjection de cette Institution religieuse soutenue dans ses crimes par toute la société du moment, notamment ses bras armés, la police et la justice. La narration génère tout un archipel d’histoires qui se ramifient ou opèrent pareilles à des engrenages et font de Sebastian Barry, un subtil enfumeur qui pour donner...
Entretiens Déni d’innocence
novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248
| par
Dominique Aussenac
Pour son onzième roman, l’irlandais Sebastian Barry enquête autour d’un vieux policier sur fond de pratiques pédophiles institutionnelles. Fantomatique, mélancolique, sidérant.
Un livre