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Domaine français Le salut aux ombres

février 2024 | Le Matricule des Anges n°250 | par Jérôme Delclos

Joseph Bialot (1923-2012) écrit son récit du camp et de l’impossible deuil du camp. Un grand livre d’Auschwitz.

C’est en hiver que les jours rallongent

L’ancien résistant Joseph Bialot, né Joseph Bialobroda à Varsovie, a déjà 55 ans à la sortie de son premier polar, et c’est à 78 ans qu’il témoigne d’Auschwitz. Il aura été en panne un quart de siècle, la tête encore dans le camp. Et puis, à quoi bon ? « On ne compte plus les récits sur la déportation. Ils se sont accumulés. En vain. Tout le monde écoute, personne n’entend. » Pourquoi en rajouter si « Auschwitz ne peut pas être “mis en mots”, ni en images, ni en sons  » ? Et pour nous, pourquoi lire un énième récit de l’expérience concentrationnaire, si poignant soit-il ? Imre Kertész, acide, disait qu’il se fichait bien de savoir qu’au Lager, « Mamie Schwartz n’a pas eu assez de soupe ». La chose est trop connue et l’horreur qui va avec, les coups, le froid, les piles de cadavres. Mille et une façons de briser l’humanité en l’homme. Mais Kertész écrit aussi dans son Journal de galère : « Le camp de concentration est imaginable exclusivement comme texte littéraire, non comme réalité (Pas même – et peut-être surtout pas – quand on le vit.) ». Si bien que la haute littérature des camps – Kertész, Delbo, Borowski, Levi, Kambanellis et quelques autres, pas très nombreux en fait – mérite d’être lue mais pour elle-même plutôt que par « devoir de mémoire ». Au reste, le « Plus jamais ça » est chaque jour piétiné par les massacres et génocides actuels. Et ceci, terrible, que… nous nous en accommodons.
C’est en hiver… est d’abord un livre que Bialot, au terme d’une longue psychanalyse, aura écrit « comme ça vient, comme tout revient, en vrac, les visages, les lieux, les mots, les odeurs, les goûts et les dégoûts » : « parler du camp comme on vide son sac, (…) dire la vie, ou plutôt le temps de la mort vécue et les jours qui ont suivi ». Fouillis mais aussi rapidité, tout y passe et surtout l’hiver : « Ça me reprend chaque hiver », confie le vieil auteur de romans noirs. « Chaque mois de janvier », lui se retrouve soudain « sous le couvercle neigeux qui rendait le camp immaculé ». Un mois sur douze ? Façon de parler. Plus loin dans le récit, il confiera que chacune de ses nuits, depuis la libération du camp, aura été hantée par Auschwitz. Mais l’hiver 1945 est le point nodal à partir duquel Bialot tresse sa dialectique serrée de la « mort vécue » au camp et de la vie tant espérée et impossible, celle d’après. Parce que « c’est seulement à Auschwitz qu’il était possible de vivre et de mourir en même temps ». En quoi, très construit dans de brusques allers retours entre la temporalité fondatrice d’Auschwitz où « chaque seconde compte » et celle de la vie qui lui succède mais cassée, vidée, morte, le récit de Bialot est original et profond.
Il y a d’abord, sidérante, la difficulté à faire ses adieux au camp. Plus qu’un regret, un déchirement. Le scandale, pour lequel Kertész a enduré l’opprobre de ses contemporains, de ce qu’à la fin d’Être sans destin il appelait « dans les intervalles de la souffrance (…) quelque chose qui ressemblait à du bonheur ». Bialot, quant à lui, écrit que « Toute libération est un arrachement, une mort, une renaissance, même lorsqu’on sort d’Auschwitz ». Ou en plus court : « Le problème est celui du retour ». « Ne rien oublier » en même temps que vouloir « l’amnésie » : un deuil insoluble, une fidélité raturée.
Le texte alterne les calmes, presque mornes douceurs du retour – un vrai repas, « des Clark’s » aux pieds, l’urbanité des rencontres qui tranche d’avec le jargonlager ponctué d’insultes – et les violentes petites grâces qui par exception survenaient dans l’enfer. La félicité, inoubliable, éprouvée à fumer. « Chacun aspire, raconte, inhale, espère, rêve, passe le tabac à son voisin. » Ou mieux encore la densité, comme chez Iakovos Kambanellis à Mauthausen (Lmda N° 215), de l’amour pour « Odette » à peine croisée, et qui n’avait fait que sourire. « C’est peut-être cela l’amour véritable, un vécu intense dans la perception d’une disparition imminente. »
Il faut s’y résoudre, « C’est l’heure des adieux ». Mais le rescapé « n’est qu’une apparence, une illusion à face humaine ». L’un d’eux, qui s’est sauvé sur le tard par l’écriture, agite la main en frère : « Salut, les ombres ! »

Jérôme Delclos

C’est en hiver que les jours rallongent
Joseph Bialot
La Manufacture de livres, 348 p., 18,90

Le salut aux ombres Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°250 , février 2024.
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