Caroline Lamarche, éloge du vivant
C’est de la douceur. Avec quel-ques larmes et un peu de colère. Un long puits de mots jetés entre une vivante et une mourante, un ultime dialogue devant la mort. Cher instant je te vois emprunte sa forme à la poésie et déroule un récit où l’hommage tient à la fois du partage de la douleur et de la pérennisation d’une vie. Celle de Margarida, amie de l’autrice, qui depuis son lit d’hôpital envoie ses remerciements et quelques poèmes. Et des enregistrements aussi, des morceaux sonores du monde où s’entendent l’aboiement d’un chien, le chant d’un oiseau. En retour, l’autrice pose sa voix sur quelques vers, lui raconte ce qu’elle a vu durant sa journée « dans une rue ombragée un ouvrier municipal/ levant aussi haut que possible son téléphone portable/ pour photographier une fleur de marronnier ». L’une dit la douleur qui lui ronge le sein, l’autre essaie de calmer l’angoisse qui l’étreint. C’est une belle amitié que l’on suit en lisant ce livre, un modèle exemplaire de résilience. Même si la poésie ou les sons saisis par les deux femmes ne sauraient repousser la camarde, l’échange entre elles, aussi ténu soit-il, est un concentré de vie : l’essentiel s’y niche, de l’amour à ce qui dépasse l’amour, un pas fait ensemble vers la nuit profonde. « J’écris ces lignes sans savoir/ si tu aimerais que je le fasse./ Nous ignorons ce qui nous mène, qui nous dirige,/ s’il y a quelqu’un là-haut,/ nous suivons un chemin qui s’écroule derrière nous ».
Mais elle écrit aussi, Caroline Lamarche, pour nous qui la lisons. Elle nous fait les témoins d’une vie qui s’échappe. Elle nomme celle qui est partie, puisqu’on le sait d’emblée, c’est désormais à une morte que le poème s’adresse. Mais surtout, c’est un chemin de vie que les mots tracent, un modèle à suivre à notre façon pour rendre plus habitable le monde où nous entrons. Comme Caroline Lamarche, Margarida se battait pour que soient respectés la nature et les démunis. La jeune femme accueillait chez elle des réfugiés qu’elle aidait dans leur quête d’un monde vivable. La colère revient ici quand l’autrice raconte la violence de la police à l’encontre de son amie, la porte défoncée et les menottes mises, et les mots désormais vont « graver dans ma mémoire/ ce qu’ils nous font en le faisant à nos frères ».
Texte de deuil, Cher instant je te vois donne aussi à la littérature le soin de franchir une frontière : celle qui sépare les vivants et les morts. « Et moi de ne pas comprendre encore/ de ne pas vouloir comprendre/ ce qui après ton départ me sautera au visage,/ à savoir que les morts/ jurant de ne se taire plus/ exigent de parler à travers nous. » Et le livre en devient alors polyphonique.
T. G.
Cher instant je te vois
Caroline Lamarche
Verdier, 90 pages, 15