Comment ne pas se réjouir de voir paraître une pièce inédite de Copi ? L’écrivain argentin Copi, son véritable nom Raúl Damonte Botana (1939-1987), artiste polyvalent très en vue et apprécié dans les années 1960-1980, aura toujours été d’une originalité et d’un intérêt majeurs. Héraut de la cause gay, il avait abordé avec le dessin de presse, une manière singulière d’exprimer ce que son œuvre écrite clamait par ailleurs. On identifiait vite sa « vieille dame assise » au trait simple dans Charlie Hebdo ou Hara-Kiri. Souvent fort perplexe, elle illustrait ce que par ailleurs Copi disait dans ses romans et nouvelles et dans ses pièces. Dénonçant tout à la fois le régime dictatorial argentin (Eva Perón, 1969) et militant pour la liberté et la dignité homosexuelles, il avait pris la plume très tôt, lorsqu’il résidait en Argentine – après une jeunesse passée partiellement en France – et ne cessa qu’avec Une visite inopportune, pièce de théâtre mettant en scène un personnage atteint du sida attendant le passage de la mort. C’est du reste lors des dernières répétitions que Copi rendit à l’hôpital son dernier soupir à Paris, où il habitait depuis 1962. Personnage attachant, assez discret mais agitateur, malgré son goût pour les grandes folles et les femmes mûres exubérantes, ce petit-fils d’une dramaturge argentine – c’est sa grand-mère qui l’a surnommé Copi à cause d’un épi de cheveux – et fils d’un directeur de journal, aura marqué le théâtre français durant plusieurs décennies de sa modernité, celle de son sujet, et ses attendus relatifs à la différence, à la difficulté de s’exprimer. Mélancolie faisait chez lui bon ménage avec énergie, humour et provocation.
Le caractère extraordinaire du Lamento pour un ange, pièce lue une seule fois en Argentine lorsque Copi venait de l’écrire, en 1961, repose sur le fait que tous les éléments de son œuvre semblent déjà en place : un jeune homme, Alfredo, alter ego de Copi, trouve logement chez Mme Lisca et sa fille Susana qui tombe amoureuse de lui. Il est taiseux, élégant, souvent assis sur une chaise, silencieux. Vit dans la pension un vieux professeur, homosexuel lui aussi, être déclinant qui entreprend le jeune homme et lui fait part de son expérience. « (…) quelque chose me rappelle, me fait penser… à moi, à ma vieillesse, à ma solitude, et j’ai pitié de moi, je suis fier de ma pitié, et je suis fier de mon orgueil, de ma capacité à souffrir et à souffrir sans espoir. (Un temps. Bas) Essayez d’oublier, jeune homme, essayez de vivre : le temps détruit tous nos espoirs. Moi aussi, un jour, j’ai été comme vous. »
Pièce frappante par sa maturité, digne d’un Tennessee Williams, Lamento pour un ange est un élément indispensable de compréhension de l’œuvre copienne désormais, qui jusque dans la lucidité qui éclaire la pièce, semble violent. Mais tout, jusqu’aux illusions, désillusions et souffrances, est amené avec l’aisance d’un maître. Copi n’a alors pas 22 ans… Naturellement le texte est assez autobiographique, car c’est aussi lui l’ange, qui représente un homosexuel à la façon dont Jean Genet lui aussi sublimait le « pédé » magnifique en le décrivant avec des ailes. Et pourtant, Lamento pour un ange est peut-être la plus noire des pièces de Copi, et à coup sûr une réussite forte, prenante, à lire et à jouer au plus tôt.
Éric Dussert
Lamento pour un ange,
de Copi
Traduit de l’espagnol (Argentine) et édition de Laurey Braguier et Thibaud Croisy
Christian Bourgois, 192 p., 17 €
Théâtre Une Première pour Copi
juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254
| par
Éric Dussert
Figure de la contre-culture homosexuelle, l’écrivain argentin revient trente-sept après sa disparition avec sa toute première pièce inédite.
Un livre
Une Première pour Copi
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°254
, juin 2024.