Dominique Meens, à tout bout de chant
Pêche à pied est un livre de lecteur. Mais d’un lecteur qui fait de tout une lecture : du chant d’un merle la nuit, du bruit du vent, de la laisse de mer que l’océan dépose à chaque marée. Des livres aussi qui accompagnent l’écrivain ou qui l’habitent tant les citations semblent venir d’elles-mêmes. Débarrassé de tout ordre, alphabétique ou thématique, ce livre ouvre mille pistes à explorer, dans un désordre tout organique qui serait celui de la vie même quand elle n’est pas domestiquée, étouffée. Dominique Meens en ces pages se fait tour à tour ironique, rêveur, espiègle, mémorialiste, énigmatique. Ironique quand sous le titre « L’âme romantique allemande » il évoque Novalis qui « fut ingénieur des mines. (…) Novalis ignorait-il les conditions de travail des mineurs ? Peut-être bien que non. Peut-être a-t-il fait quelque chose pour ces malheureux, comme les sociaux-démocrates font augmenter les salaires quand trop c’est trop et rameutent leurs flics quand pas assez c’est assez. » Rêveur il l’est dans la compagnie des oiseaux, de la nature autour de lui qu’il rassemble dans ses « Plumes et poils » : moments saisis sur le motif, écriture de poète ou de peintre : « Soleil à couper au couteau. Froid de canard. La pie s’est posée à la pointe du cyprès voisin, face au vent. Elle s’en tient là une minute, linogravure, puis se jette à l’air d’un vol sans grâce et laborieux, pénible et précipité. » L’auteur se pose parfois, déploie une pensée qui alimente son travail : sur la relation au passé, sur la psychanalyse. C’est une manière d’aiguiser son art poétique ou de rester vigilant, éveillé dans sa propre pratique.
Le lecteur butine alors, colibri attiré par certaines phrases, par de saines colères. Il s’arrête sur les pages où Meens dévoile un peu plus sa bibliothèque, évoquant ici Thomas Bernhard « intéressant parce que sous son Autriche préparaissait l’Europe tout entière et que si toute la journalisse franchaije ricanait de ses descendants de nazis autrichiens, c’est qu’elle refusait de voir ce qui lui était promis. » Et là Khlebnikov dont Meens propose sa traduction de Zoo dans une graphie de Jim Skull, le plasticien qui délaisse ses crânes de corde pour une écriture qui fait penser au Je suis immortel et vivant de Gil J Wolman. Dans ce tissage de textes, serrés parfois comme les mailles d’un filet, c’est un peu du monde que l’écriture saisit. C’est aussi, façon puzzle, un autoportrait qui se dessine en même temps que l’écriture tente de le recouvrir. On trouve au cœur de ce livre, une sorte d’aveu, une confession glissée qui pointe la source même de la création : « Ce qui peut remparer contre l’angoisse, c’est entre autres de se faire autre que ce que l’on n’est pas. Quand j’écris, je suis un autre, ou je suis autre que celui qui verrait venir à lui l’angoisse. Je me déguise. D’où l’importance des idéaux qui soutiennent l’entreprise, ceux choisis dans la bibliothèque, qui participent à la construction d’un Moi-idéal chargé de se retrouver...