La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger L’existence cousue d’immaturité

juin 2024 | Le Matricule des Anges n°254 | par Guillaume Contré

Cette réédition de l’unique recueil de nouvelles du plus célèbre des écrivains polonais rappelle que nous sommes loin d’avoir fait le tour de Witold Gombrowicz.

Gombrowicz a montré que les formes éprouvées, mûres et claires de notre vie spirituelle sont plutôt un “vœu pieux”, qu’elles vivent en nous plutôt à l’état d’intention perpétuellement tendue que de réalité », écrivait en 1938 son compatriote et ami Bruno Schultz, peu après la publication du premier roman de Gombrowicz, Ferdydurke, immuable chef-d’œuvre de la littérature polonaise et mondiale, grand éclat de rire qui annonçait et dépassait d’emblée l’existentialisme et les littératures de l’absurde à venir.
Mais tout avait commencé dès 1932, avec un premier recueil portant alors le titre prémonitoire de Mémoires du temps de l’immaturité. Ce n’est que vingt ans plus tard, lors d’un bref dégel en Pologne, que l’ouvrage trouvera son titre définitif, Bakakaï, du nom d’une des rues de Buenos Aires où vécut l’auteur durant son exil. Un titre qu’à l’inverse de celui, programmatique, qu’il avait d’abord choisi, il voulait parfaitement quelconque, « comme on donne à un chien ». Médor, dès lors, aurait aussi bien fait l’affaire, tant tout ce qui permettait de ridiculiser la pompe de nos comportements préfabriqués face à la Littérature avec majuscule était de nature à le satisfaire.
Il faut dire qu’entretemps notre homme avait consolidé sa pensée et, de fait, au moment de sa réédition en 1956, le livre s’était enrichi de textes écrits bien après 1932. Car Bakakaï est tout sauf un livre de jeunesse, il s’en prend déjà avec virtuosité et un sens remarquable du grotesque à ces « formes éprouvées » qui ne cessent de tourner à vide dans une « vie spirituelle » de façade. Gombrowicz fut dès le début un empêcheur de se conformer en rond, un tireur de tapis sous les pieds du conformisme moral, un contempteur forcené de cette « polonité » triomphante, propre à une nation à l’identité fragile.
Nous sommes tous les victimes de la « Forme », nous dit-il, ce moule dans lequel nous n’avons d’autre désir que de nous couler car en bonnes créatures pavloviennes nous ne chérissons rien mieux que les réflexes conditionnés. Nos prétentions à l’absolu sonnent creux, les grands mots nous gouvernent, nous nous y accrochons comme des demeurés. En refusant d’assumer notre immaturité, nous voici « cuculisés » d’avance. D’où des personnages tel Stefan Czarniecki, qui s’auto-définit comme « un voyou, ou mieux encore une ruine morale ». Tout cela parce que son père, lui dont pourtant « le regard, les traits, les cheveux grisonnants, témoignaient d’une bonne et noble race », méprise sa mère qui a le tort d’être juive, déboulonnant ainsi irrémédiablement la morgue paternelle, déformant sans remède sa forme parfaite. Le résultat d’une telle union, dès lors, est une aberration tiraillée entre deux commandements, celui d’être un noble polonais et celui d’être juif. Il ne s’agit pas seulement de moquer l’antisémitisme dans tout ce qu’il a de tragiquement infantile, mais de mettre à mal les assignations insoutenables et les faux-semblants qui nous construisent.
Ainsi de ce personnage snob qui se gargarise de son « goût du sublime » et d’avoir l’honneur d’être convié aux « extraordinaires déjeuners du vendredi » de la comtesse Fritouille. Lesquels, sous son regard horrifié, se transforment en bacchanales vulgaires qui minent de l’intérieur les précaires fondements de son snobisme. Gombrowicz dégonfle les grands concepts ronflants que tout un chacun se sent toujours prompt à dégainer et leur donne des incarnations dérisoires qui en soulignent la vacuité : « Ne sachant si j’allais m’assoir ou rester debout, garder un air sérieux ou faire bonne mine à mauvais jeu, avec un sourire de sot, j’essayai vaguement, timidement, d’en revenir à l’Arcadie, c’est-à-dire à la Beauté, c’est-à-dire à la soupe de courge ».
Car tout, finalement, n’est que soupe de courge, surtout si la comtesse a décrété que c’était là un mets exquis. Il convient peut-être, pour ne pas patauger éternellement dans cette soupe, de faire comme ce haut fonctionnaire obsédé par les « jambes épaisses » des « bonnes à tout faire ». Rien de lubrique là-dedans : « On me rangeait parmi les agents les plus élégants des Affaires étrangères ; ce n’est pas malgré cela, mais bien à cause de cela, qu’il me plaisait d’aimer les bonnes à fichu ». Il se réjouit dès lors d’observer dans son ménage « comment l’épouse agissait sur la bonne et la bonne sur l’épouse, et comment l’une et l’autre se révélaient pleinement dans ce contact ».
Car on n’échappe pas à la Forme. Elle est ce qui permet à un juge d’instruction, dans une parodie de conte policier, de convaincre des innocents qu’ils sont bien les meurtriers dont il a besoin ou ce qui pousse la cour d’un royaume d’opérette à s’autodétruire afin de préserver coûte que coûte le prestige de la royauté malgré la vulgarité du souverain en titre.

Guillaume Contré

Bakakaï
de Witold Gombrowicz
Traduit du polonais par George Sédir, Allan Kosko & Brone
Denoël, 312 p., 22

L’existence cousue d’immaturité Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°254 , juin 2024.
LMDA papier n°254
6,90 
LMDA PDF n°254
4,00