Issu de la noblesse terrienne, marié à une parente du Duc de Newcastle qui lui donna trois fils, élu à la Chambre des Lords, William Hay avait tout pour être heureux. Sauf sa bosse sur le dos, sa taille – 152 cm –, son visage « ravagé par la variole », et pour couronner le tout la « maladie de la pierre » et son cortège de douleurs. C’est à l’âge de 59 ans, quelques mois avant sa mort, qu’il écrit son autoportrait, façon de régler ses comptes avec sa mauvaise fortune, mais aussi dans l’idée de léguer à la postérité un texte résolument littéraire, placé sous l’autorité de Montaigne et de Longin en dépit d’une modestie de façade que réfute d’emblée l’ambition du propos : « écrire sur la difformité avec beauté. Et, mon travail achevé, racheter ainsi la laideur de ma personne ».
Le souvenir de l’enfance occupe les premières pages, soit celui de la blessure précoce de la honte, héritée de parents certes aimants mais qui n’ont su donner la bonne réponse à « l’erreur de la nature » incarnée dans leur fils : « ils ont tenté de la cacher, et m’ont appris à être honteux de moi-même, au lieu de m’armer d’une vraie force d’âme pour mépriser le ridicule et le dédain ». D’où pour Hay une incapacité ou faiblesse qui a pris plusieurs formes. Tout d’abord sa phobie de la foule, en particulier celle de « la populace ». Parce que le « porteur de chaise irlandais » ou « même un mendiant, lorsqu’il quémande l’aumône », ne se privent pas de se gausser du lord et même de l’injurier. La foule est redoutable dont « l’insolence croît proportionnellement à sa condition », et rien n’est pire pour Hay que les « rassemblements tapageurs » – « une foire de campagne », « un combat de coqs » ou « une arène aux ours ». Il se console de cette insolence du vulgaire « par la compagnie et la conversation » de ceux qui lui sont « supérieurs », et dans les livres. D’autre part, le domaine de la galanterie et de ses codes est interdit au bossu. Outre sa petite taille qui lui donne « tout d’un ver et non d’un être humain », le fait d’être « né courbé » l’empêche justement de se courber. « Aussi, lorsque les dames laissent échapper un éventail ou un gant, je ne suis pas le premier qui puisse les ramasser. » Sans parler de danser, ce qui l’exposerait au ridicule, y compris « participer à un bal masqué » pour dissimuler sa laideur : « ma nature serait vite découverte. » La proximité même des femmes lui est un supplice, que le lord, qui partout nécessite un coussin comme on en donne aux « petits chiens », n’exprime pas sans humour : « Quand je voyage en voiture avec une belle dame, je suis dissimulé sous la soie et les baleines de sa robe. (…) Je suis au Purgatoire aux confins du Paradis ». Aux séances de la Chambre, surtout, ne jamais s’asseoir à côté d’un grand.
Pour autant, la condition de la difformité permet aussi son éloge dans la veine de celui de la folie d’Érasme, ou de l’autoportrait de Scarron placé en annexe de l’ouvrage. Pour William Hay, sa bosse et sa laideur lui auront appris à aimer dès l’enfance une solitude où se cultiver, « perfectionner son esprit » faute de pouvoir briller par son allure. De façon plus inattendue, ses déboires auront contribué à développer sa sensibilité : « Je suis mal à l’aise lorsque je vois un chien, ou tout autre animal, maltraités, car je les considère doués d’intelligence et d’une part de raison qu’on ne saurait mépriser ». C’est ici le whig de la Chambre des Lords – si l’on veut l’ancêtre du travailliste anglais – qui s’exprime. « Je me suis trouvé dans une position où j’ai pu contempler à loisir le faste et la vanité, tout autant que la pauvreté et la misère du genre humain, mais celles-là seules m’émeuvent. »
On peut admirer le caractère de cet homme que rien ne destinait à une carrière, a fortiori dans une société de cour. Hay n’oublie pas de remercier ses « braves électeurs », qui l’estiment pour ses talents et ses vertus en dépit de son physique. Un autre politique dans une autre circonscription, relate-t-il, n’a pas eu cette chance « car il était noir ». On objectera que cette violence-là avait lieu il y a longtemps, à un peu plus de trois siècles de nous dans une monarchie parlementaire, et de l’autre côté de l’eau. Nous serions donc meilleurs ?
Jérôme Delclos
De la difformité,
de William Hay
Édition, traduction de l’anglais et notes de Jean-Jacques Courtine et Sophie Houdard,
Jérôme Millon, 115 pages, 16 €
Essais Plein le dos
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
| par
Jérôme Delclos
Laid, petit et bossu, l’écrivain William Hay (1695-1755) se plaint et se console avec humour et panache.
Un livre
Plein le dos
Par
Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°255
, juillet 2024.