Est-ce la scène primitive ? « Il pouvait entendre la Maman qui criait : “Ne me touchez pas !” / On entendait des bruits de meubles bousculés. On ne la battait peut-être pas, mais sûrement on l’emmenait… “Non… Non !”… Ça devenait hurlement dérisoire. (…) – M ’man ! Reste là ! / Mais ça ne servait plus à rien. Le gamin avait senti du mou dans la poignée, la porte pouvait s’ouvrir. / Il n’y avait plus personne ». Jean Meckert, né en 1910, a 72 ans lorsque, dans Le Boucher des Hurlus, il se remémore son enfance en l’attribuant à son personnage principal, Michou, âgé de 8 ans. À cause d’une altercation violente avec une voisine, sa mère est embarquée par les gendarmes au commissariat et devra subir un internement psychiatrique. Michou se retrouve dans un orphelinat protestant, l’asile Lambrechts, à Courbevoie, que Meckert évoque également, de manière plus autobiographique encore, dans le posthume Comme un écho errant. Pour ces pensionnaires en uniforme, avec aux pieds des « grolles à clous », conduits au temple tous les dimanches matin, c’était bien là, au sortir de la Grande Guerre, « une ségrégation organisée dès l’enfance par une Société salope qui glorifiait ses grands morts pour mieux mépriser ses petits vivants ».
Meckert se range donc, dès l’enfance et jusqu’à sa mort, parmi les « réfractaires », les « emmerdeurs ». Les expériences de sa jeunesse ne peuvent que renforcer ce sentiment d’humiliation, d’exclusion. Un temps apprenti dans une entreprise de construction de moteurs, puis employé de bureau au Crédit lyonnais, il subit ensuite les conséquences de la crise de 1929. Il alterne entre chômage et boulots dérisoires, entre le sous-prolétariat et la misère – il doit même s’engager durant dix-huit mois (et fait plusieurs séjours en cellule pour absences illégales). Un sort similaire sera le lot de nombre des personnages de ses récits, qu’il commence sans doute à écrire à la fin des années 1930. Ainsi le narrateur d’un « conte » longtemps demeuré inédit, dont le titre – « Abîme » – est significatif, avoue-t-il : « C’est à vous, tous mes camarades inconnus, que je parle. Vous, les solitaires qui crevez dans une sale chambre d’hôtel toute pisseuse. Vous tous qui n’osez plus sortir (…), vous qui pensez vingt fois par jour à vous supprimer et le reste du temps à supprimer les autres. Hein ! Comptez-vous un peu, les faiblards, les ratés, les foutus ». Puis, mobilisé, Meckert fait l’expérience de la drôle de guerre, de la débâcle, et est interné en Suisse pendant plusieurs mois. Il tient alors un journal et tentera, après-guerre puis à plusieurs reprises jusqu’à la fin de sa vie, d’en tirer un roman qui puisse rendre compte de toutes ces années : nous ne pouvons en lire qu’une version réduite, mais frappante, intitulée La Marche au canon.
C’est dans un Paris occupé qu’il parvient, en janvier 1942, à faire publier chez Gallimard (grâce à Raymond Queneau) son premier roman, Les Coups. L’accueil critique est tout à fait enthousiaste :...
Dossier
Jean Meckert
L’échappé libre
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
| par
Thierry Cecille
Observateur des destins médiocres et des révoltes impossibles, dénonciateur des pièges sociaux, analyste des ruses du langage, Jean Meckert/Amila serait bien « l’antidote de Céline » (Annie Le Brun).
Un auteur