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Domaine français La mort dans le jardin

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Gilles Magniont

« Nous étions si compatibles que c’en était effrayant » : Philippe Garnier écrit, « comme un tribut » d’une inconfortable valeur, le récit d’une vie à deux et de son interruption.

Par chez nous, le nom d’Elizabeth Stromme n’est sans doute pas connu au-delà d’un petit cercle d’initiés – ceux qui se souviendraient par exemple que son roman policier Gangraine (1994) fut le tout dernier chroniqué par Jean-Patrick Manchette, qui louait son « ton détendu, léger et gai pour faire passer un point de vue apocalytique » sur l’agrobusiness et diverses horreurs génétiques. Stromme est morte en 2006 du cancer à l’estomac dont elle avait été diagnostiquée Neuf mois auparavant, selon le titre trompeur de ce livre : Philippe Garnier, marié à elle trente ans durant, relate ici les dernières journées – cinq dates, entre novembre et décembre – où elle refuse tout soin et tout calmant, s’appliquant simplement à « garder ce corps malade parfaitement intact » : c’est La drôle de mort, première partie suivie par La drôle de vie, qui remonte le temps des époux.
On a quelque appréhension à entreprendre cette lecture. Traducteur et journaliste freelance, Garnier est fameux pour son exploration d’un « autre paysage américain », pour reprendre le sous-titre d’un de ses recueils : enquêtes au long cours, histoires du cinéma et de la littérature, mémorables portraits. Mais là, raconter sa vie, une agonie, un couple ? Faire dans l’intime ? Les premières pages montrent pourtant que son approche n’a pas varié : c’est un discours irrégulier, une conversation dont le sujet n’est jamais traité avec tambour et trompette, la relation d’un étrange quotidien dans une « fin d’été indien inespéré ». « On pourrait être en vacances », et Garnier, comme dans tous ses écrits, évite les abstractions et les termes génériques auxquels il préfère l’accumulation de détails concrets : le couple a quitté Sunset Boulevard pour le nord de San Francisco avec, au milieu des arbres, une maison de vacances où tout est beige, « confortable et moche ». Autour de cette maison, un faucon, des vautours à tête rouge, des piverts, des lauriers-roses ; à l’intérieur, des coussins en mousse livrés par la société de soins palliatifs, et la dégradation qui vient enfin, « immense ».
Entre ces blocs de réel, entre les rituels qui rythment le quotidien, bois coupé ou prise de morphine puis de méthadone, entre les phrases serrées jusqu’à l’étranglement, quelque chose ou quelqu’un circule. D’abord, dans l’entrelacement du portrait et du récit, l’être singulier tour à tour appelé ma femme et Elizabeth : ses inaltérables principes, sa raideur qui selon certains la rendait « carrément chieuse », et aussi son espièglerie, son intrépidité et son « sourire éblouissant de gamine » ; dans le Minnesota, sa « jeunesse plaquée or » auprès de ses nouveaux riches de parents, dans ce « confort mou et vert que nous n’allions plus jamais retrouver puisque nous le refusions », puis son activisme politique, son jardin de Los Angeles planté « avec conscience », sa passion militante pour l’horticulture, sa reconversion de rédactrice de publicité en romancière – « je n’aimais pas son style », écrit Garnier, qui semble redouter plus que tout de travestir. « Sa bouche était ouverte comme si elle avait quelque chose à dire ; / mais peut-être que de ma part, le dire n’est que figure de style » : ces quelques vers de l’auteur américain David Perry ouvrent Neuf mois comme pour signaler qu’il ne s’agit surtout pas d’y raconter des bobards sur Elizabeth, pas plus que de « se la jouer », s’épargner soi-même en perdant de vue telle lâcheté, telle posture, telle « idée vraiment merdique ». « Pour ce qui est des pensées laides, l’esprit humain n’a pas de limite » : Garnier prend sa morale en défaut aussi bien que sa mémoire – « Que ressentais-je ? J’essaie de me souvenir » –, ce qui rapproche finalement son entreprise, aussi singulière soit-elle, de tous les autres textes où il s’est acharné à retrouver la vérité d’un auteur ou d’un acteur, par-delà les falsifications commodes.
Neuf mois suggère ainsi ce que l’existence peut avoir d’approximatif, dans ses derniers instants mêmes. Mais les approximations ont aussi du bon : viennent largement en témoigner, dans ces pages et dans la poussière underground des années 1970, l’évocation des manques d’argent sans crainte du lendemain, la remémoration des virées et des gargotes, l’image persistante des « camionneurs gobeurs d’amphé » et des crépuscules capiteux.

Gilles Magniont

Neuf mois
de Philippe Garnier
L’Olivier, 120 pages, 17,50

La mort dans le jardin Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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