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Domaine français Hors de (chez) soi

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Anthony Dufraisse

Une femme âgée doit quitter sa maison et c’est toute sa vie qui se recompose. Catherine Safonoff fait rimer déracinement et désenchantement.

La Part d’Esmé

Tout ça – le déracinement soudain et « la sourde colère d’avoir à débarrasser le plancher » –, c’est la faute de B., l’ex-mari de la narratrice, retraité de l’université de Genève, « homme de peu de mots » portant « une grosse moustache blanc jaune ». Si cette femme octogénaire voit rouge, c’est parce qu’elle n’a pas choisi de se mettre au vert : la maison qu’elle occupait depuis un quart de siècle, et qui appartenait à B., a été vendue. D’où ce déménagement imposé qui la chamboule. Double évident de l’auteure à qui elle ressemble furieusement, comme toujours avec Catherine Safonoff, cette femme écrivaine se dit expulsée, congédiée. Son « exil au diable vauvert », dans la ferme de l’une de ses filles située à la frontière suisse, elle nous en parle d’abord depuis cet état de rage rentrée. En écrivant, elle va lentement mais sûrement débrider ce ressentiment-réflexe, à mesure qu’elle partage avec le lecteur ses pensées et son passé. Car Catherine Safonoff confie toujours à ses porte-voix la même tâche : jouer du présent comme d’un filtre à café par lequel passe le passé, dans un bruit crachoteux de goutte-à-goutte ; raconter ce qu’est une vie qui n’a de cesse de se chercher un sens. De se faire en se défaisant, paradoxalement ; allez comprendre comment tourne la Roue de la Fortune (le titre vient de là)… Une sensation, une vision, un souvenir prennent forme, et voilà la machine à récit – ici clairement autobiographique ou autofictionnelle, comme on veut – qui se met en route, non sans connaître des ratés, avant de se relancer, encore et encore.
C’est que l’écriture est une mécanique capricieuse. Dans un numéro des Moments littéraires en 2020, qui avait consacré un dossier à cette écrivaine suisse de langue française née en 1939, une étude montrait comment elle arpente obstinément « les territoires de l’intime en donnant l’illusion d’une écriture au ras du quotidien ». On en a une fois de plus l’illustration avec ce livre qui brasse, dans une fausse apparence de décousu, des éléments familiers aux lecteurs de la compatriote du grand Ramuz : l’évocation d’un séjour aux États-Unis, d’un voyage en Grèce, des relations compliquées avec l’ex-mari, une parenthèse amoureuse avec un Anglais, les liens familiaux avec ses deux filles ou ses parents, et autres « choses irréversibles » de son existence… Ces lignes de force traversent quasiment tous les livres de Catherine Safonoff depuis son premier roman La Part d’Esmé, paru à l’origine en 1977 et qui reparaît aujourd’hui en poche. « Ce petit premier roman », les pages de La Fortune y font d’ailleurs plusieurs fois allusion. Il mettait en scène une « fille se rebellant comme elle pouvait » pour vivre une histoire d’amour avec un musicien de Londres tout en continuant d’entretenir avec son époux, pour le bien-être de leurs enfants, une étrange relation à distance sous tension. Le dénommé B. de La Fortune y apparaissait alors sous les traits d’un personnage surnommé Canouille. Ailleurs, dans La Distance de fuite en 2017 (peut-être son meilleur livre avec Autour de ma mère, dix ans plus tôt), le mari trompé s’appelait Léon…
On l’aura compris, certains segments de la vie de la romancière séquencent ses histoires, certaines figures y sont tantôt au premier plan tantôt seconds rôles (de la même génération que la Suissesse, Claudie Hunzinger aussi procède ainsi). Ce qui explique que la narratrice de La Fortune se voit comme « une parasite éternelle » se nourrissant de la vie de ses proches et de sa propre biographie, encore et toujours « torchant mon interminable Lettre aux miens ». Ce que Safonoff résumera autrement dans un entretien accordé à cette revue citée plus haut : « Chacun de mes livres est un épisode du même ouvrage ». Une lancinante question s’y pose, formulée ainsi dans La Fortune  : « Ai-je toute ma vie agi au-dessus de mes moyens ? » S’interroger sur les moyens d’une vie, c’est-à-dire tout aussi bien sur ses fins, c’est l’obsession des doublures de Safonoff. Cette question travaillait déjà le personnage instable d’Esmé qui manifestait « des exigences, des nostalgies, des spleens, oh rien que de très fumeux et bovarique (…), “je ne suis pas ce que l’on pense”, “je ne suis pas ce que l’on dit”  ».
Toutefois, ce n’est peut-être pas à Emma Bovary qu’il faut penser ici, mais plutôt à la Mrs Dalloway de Virginia Woolf. Si on pense bien sûr à l’écrivaine britannique et à son fameux style dit du flux de conscience, on pense aussi, et dans des approches différentes, à Melpio Axioti (1905-1973), Catherine Guérard voire Annie Ernaux, toutes femmes éperdues de liberté et d’indépendance, quitte à déplaire et dénouer les attaches qui les lient aux êtres chers.

Anthony Dufraisse

Catherine Safonoff
La Fortune
Zoé, 175 pages, 17
La Part d’Esmé
Zoé poche, 283 pages, 10,90

Hors de (chez) soi Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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