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Domaine français Une ardeur à dire et raconter

septembre 2024 | Le Matricule des Anges n°256 | par Emmanuelle Rodrigues

Avec L’Agrafe, Maryline Desbiolles nous plonge au cœur d’un village de l’arrière-pays niçois, lieu de drames révélateurs d’une société encore rongée par les stigmates du passé.

Tout d’abord saisissante, la beauté qui émane du livre de Maryline Desbiolles nous emporte aussi par la langue rayonnante dont use l’écrivaine, pour narrer selon une note lyrique et solaire cette fable contemporaine. Pourtant, c’est l’un de ces destins brisés parmi tant d’autres qui est ici au cœur de L’Agrafe. Ainsi, Emma Fulconis, la jeune fille qui en est l’héroïne principale, apprend-elle à se connaître à travers ce qui justement s’apprête à la traverser, désigné ici comme sa blessure, la sienne et tout à la fois celle des siens, ceux de sa famille, notamment ses grands-parents. Ceux-ci quittant l’Algérie dans les pires conditions comme alors tant d’autres parmi les harkis, furent relégués, entre 1963 et 1980, dans des hameaux dits de forestage. Il faudra du temps, de la persévérance, et sans doute du courage à Emma Fulconis, pour parvenir à ce second souffle qui lui fera entrevoir l’espoir d’une vie loin de L’Escarène, où elle a grandi et dont il lui faudra partir.
Brusquement, l’enfance prend fin. Emma Fulconis, qui n’est encore qu’une toute jeune fille, que rien n’arrête tant elle aime courir et se laisser emporter par l’élan de son pas, considérée par les villageois comme leur athlète, ne court plus seule, le vent qui l’a toujours portée, la portera encore mais cette fois, vers d’autres espaces, quitte à fuir, s’enfuir. C’est en se confrontant aux silences, aux non-dits de ses proches et en prenant le temps de questionner son oncle, qu’elle ouvrira une brèche, telle une échappatoire pour se libérer tout à fait. Auparavant, elle se sera relevée de l’accident qui l’aura laissée handicapée, après de longs soins, il lui en reste une claudication, une boiterie. Il lui faudra du temps avant de se rappeler les mots entendus ce jour où le chien qui la retenait par la jambe, lui déchirait muscle et os, ces mots désormais à distance d’elle lui reviendront bien après, des mots lourds, effrayants, des mots tueurs.
Composé de courts chapitres, mais d’un seul et même mouvement qui se déploie ici avec force, et qui tend à épouser le rythme d’une scansion, le récit fait entendre la vitalité et l’élégance de la langue, empruntant à l’oralité comme au langage le plus recherché. Cette richesse du propos fait écho à cette singulière interrogation qui rythme l’un des très beaux passages du livre : « Quand est-ce qu’on se mélange ? (…) La nuit de la nuit, la nuit du jour, ce moment où le trouble s’instille même en pleine lumière, et selon son intensité, la couleur du ciel, la saison. Quand est-ce qu’on se mélange ? » Car ce qui semble ici se révéler, c’est une parole plurielle, parfois comme à distance, et ironique, parfois pleinement au cœur d’une narration subjective. Il y a là comme une veine se gonfle sous le flux sanguin, une présence, celle d’un nous, d’un chœur et de son coryphée que les personnages représentent, incarnant les acteurs d’un drame dont ils sont aussi partie prenante. Ainsi, en va-t-il d’Emma Fulconis, qui même claudicante, ne cesse de chorégraphier le mouvement intérieur de ses émotions, faisant vibrer l’onde silencieuse mais profonde de ses pensées. Si elle boite, elle n’en pressent pas moins que « son histoire s’est agrandie et l’histoire tout court, elle a tant de nouveaux personnages à danser, tant de figures à composer, tant de figures qui bougent un peu et dont elle voudrait accompagner le mouvement. »
Tout autant qu’un récit aux résonances historiques et sociales, L’Agrafe dépeint le portrait en majesté d’une jeune fille en quête d’elle-même, mue par une force émancipatrice. Et c’est bien en remontant à la source, en allant s’enquérir de son histoire, qu’elle trouve à apaiser ce que la douleur avait éveillé d’abysses.

Emmanuelle Rodrigues

L’Agrafe,
de Maryline Desbiolles
Sabine Wespieser, 152 pages, 18

Une ardeur à dire et raconter Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°256 , septembre 2024.
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