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Théâtre Mettre en mémoire

février 2025 | Le Matricule des Anges n°260 | par Patrick Gay Bellile

Éva Doumbia éclaire le destin tragique des tirailleurs sénégalais et autres héros noirs oubliés de l’Histoire.

Chasselay et autres massacres (suivi de) Camp Philip Morris

Chasselay. Petite commune de la région lyonnaise. Ses châteaux, son couvent, ses forêts. Et son cimetière sénégalais, son Tata, mot qui signifie enceinte sacrée en langue mandingue. Une enceinte de terre de couleur ocre rouge décorée de masques et construite en 1945. Cent quatre-vingt-huit tirailleurs sénégalais y sont inhumés, massacrés par les forces allemandes en 1940. Massacrés parce que noirs car dans le même temps, les soldats blancs étaient faits prisonniers et transférés à Lyon. C’est cet épisode de la Seconde Guerre mondiale qu’Éva Doumbia choisit de raconter dans le premier des deux textes publiés par Actes Sud-Papiers. « Ce qui m’intéresse au théâtre, c’est d’explorer la face cachée de l’Histoire », dit-elle dans La Voix du Nord. Mais justement, l’historien connaît très peu de choses sur les combattants enterrés à Chasselay. Alors Éva Doumbia imagine. Et à partir des faits historiques qui se sont réellement déroulés, elle crée des personnages, met en scène leurs rencontres avec les habitants de ces villages qui pour certains voyaient des Africains, des hommes noirs, pour la première fois. Mais aussi nous présente ceux et celles qui ont réellement existé. Et principalement Henriette Morin, la pharmacienne et Clotilde Cauchard, la mère supérieure du couvent de Mont-Luzin qui ont pris fait et cause pour les tirailleurs, les ont cachés et défendus. La France était à l’époque une puissance coloniale, et ces tirailleurs sénégalais, dont tous n’étaient pas originaires du Sénégal, venaient défendre la France de plus ou moins bon gré et pour des raisons parfois plus prosaïques que celles que l’Histoire veut bien raconter.
Rosette et son frère Armand voient un beau jour débarquer dans leur village le 25e régiment de tirailleurs sénégalais. Et ce n’est pas bon signe. Cela signifie que les Allemands approchent. Alors il faut creuser des tranchées, et puis loger et nourrir ces soldats qui ont choisi de résister. Armand ne voit pas d’un très bon œil ces hommes noirs approcher d’un peu trop près sa sœur, elle qu’il préférerait donner au Fernand : « Peut-être qu’il est vilain, mais au moins… » Mais ce qui intéresse l’autrice, au-delà des faits et des actes militaires, c’est de savoir qui sont ces 188 combattants. Ces hommes dont les noms ont parfois été mal orthographiés ou déformés. « Quelles ont été les vies de ces hommes assassinés à Chasselay ? Qui furent leurs amours ? Je ne connais pas leurs rires. (…) Qui ont-ils détesté ? » L’autrice se met elle-même en scène, racontant ses visites, ses découvertes, ses interrogations, interrogeant la France sur le sort mémoriel qu’elle réserve à ces combattants noirs morts pour elle, et à leurs descendants. Ces soldats méconnus plutôt qu’inconnus. Ainsi du capitaine Charles N’Tchoréré et de son fils Jean-Baptiste, morts à quelques jours d’intervalle en 1940 et dont en 2011, l’un de leurs descendants s’est vu refuser une carte de séjour par l’État français. C’est une réflexion que poursuit l’autrice sur le racisme institutionnel, sur la place qu’occupent dans l’Histoire et dans l’imaginaire ces hommes venus des colonies, et sur le rôle joué par les femmes dans cette période troublée.
Une réflexion qui résonne également dans la seconde pièce. Le Camp Philip Morris s’intéresse aux GI’s africains arrivés sur le sol français après le débarquement de 1944. Les troupes américaines ont été installées dans des baraquements autour du Havre, comme à Gonfreville-l’Orcher, dont il est ici question. Dans cette période, les relations entre les GI’s, à qui l’on avait promis des femmes françaises faciles et peu farouches, et la population ont été compliquées. Entre autres, au-delà du développement de la prostitution, de nombreuses plaintes pour viols ont été enregistrées. Et d’un commun accord, les militaires américains et les civils français ont accusé les soldats noirs d’en être responsables. Ainsi, 25 d’entre eux ont été condamnés et pendus. À partir de ces événements découverts dans le livre de Mary Louise Roberts Des GI’S et des femmes (Seuil, 2024) et dont Éva Doumbia dit « qu’il a déclenché l’écriture » des deux pièces, elle nous raconte l’histoire d’Alice, une Africaine-Américaine qui, à la mort de sa grand-mère, découvre dans des papiers de famille que son grand-père a été lynché en 1946, accusé du viol de Luce Levasseur. Et il faudra du temps pour que Luce, vieille dame à présent, accepte de dire à Alice ce qui s’est passé cette année-là.
À travers ces deux textes, Éva Doumbia poursuit son entreprise de révélation du racisme. Car « Ce qui n’a pas été raconté n’est pas su. Et puisqu’on ne l’a pas su, cela ne peut même pas être oublié. » Et au moment d’écrire cet article, nous apprenons que plusieurs dizaines de tombes ont été profanées dans le Tata sénégalais de Chasselay. Comme quoi le combat est toujours à mener.

Patrick Gay-Bellile

Chasselay et autres massacres (suivi de) Le Camp Philip Morris, d’Éva Doumbia Actes Sud-Papiers, 160 pages, 16

Mettre en mémoire Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°260 , février 2025.
LMDA papier n°260
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LMDA PDF n°260
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