La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Troubles sur un plateau

septembre 2025 | Le Matricule des Anges n°266 | par Anne Kiesel

Les déséquilibres d’une jeune vie – ou l’adolescence et juste après – vus par Lise Charles, malicieuse et manipulatrice.

Quelle belle épigraphe ! Trouver, en tête d’un roman intitulé Paranoïa, une citation tirée de Copain des bois, voilà qui est à la fois rafraîchissant et troublant. « C’est triste à dire : méfie-toi de l’eau claire des torrents et ruisseaux. » Ça commence très fort : sommes-nous dans l’émerveillement de la découverte de la nature à hauteur d’enfant ? Ou dans un monde où les apparences sont trompeuses et le danger caché ? Poser la question, c’est y répondre. À la fin du livre, Lise Charles précise que les extraits de Copain des bois, écrit par Renée Kayser (elle le cite à plusieurs reprises, ce bouquin d’initiation naturaliste tient un vrai rôle dans la progression de son récit), proviennent de la deuxième édition, parue en 1994. Puisque Lise Charles est née en 1987, on peut, sans trop de risque, supposer qu’il s’agit du véritable exemplaire qu’elle a reçu, enfant, vers l’âge de 7 ou 8 ans. 
« Méfie-toi de l’eau claire », sage conseil que son personnage, Louise, suit à la lettre. Ce qui lui vaudra quelques ennuis. Lise Charles se joue des ambiguïtés avec gourmandise. Bien sûr, Louise n’est pas Lise. Déjà, dans le délicieux Comme Ulysse (P.O.L, 2015), l’adolescente délurée s’appelait Lou. Brouillons joyeusement les pistes et, surtout, méfions-nous de l’eau claire. 
Il s’agit donc de Louise, ici. Au début du roman, elle est lycéenne, en classe de première. En sérieux décalage avec ses camarades. Quand elle était collégienne, elle a joué dans une série télévisée à succès. Enfant star, habituée à être filmée. Puis la série s’est arrêtée, mais sa réputation d’actrice perdure. Où s’arrête le jeu ? Où commence la réalité ? Sommes-nous dans la fiction ? Le personnage de Louise s’amuse, avec sa sœur, à inventer des histoires qu’elles se racontent à deux voix. Mise en abîme, fantaisie adolescente, cruauté aussi de cet âge-là (et de tous les autres âges ?).
Comment solliciter l’amitié d’une fille au lycée ? « C’était une tentative idiote (…) Manon ne pourrait jamais devenir mon amie (…) Les mots qu’on employait alors pour les relations amoureuses, c’était sur-choper ou sous-choper. Choper au-dessus de soi, choper en dessous. Avec Manon, pas de doute, ce serait de la sur-chope amicale. » La star est-elle celle qu’on pense ? Et la vision qu’on a de soi-même, est-elle conforme à une réalité ? Et si oui, à quelle réalité ?
Avec malice, Lise Charles change de registre, interpelle le lecteur. « Ce n’est pas moi si ce récit est parfois mal cousu. Le monde est un tissu de mauvaise qualité, et je ne vois pas pourquoi ce serait à moi de le recoudre. » Bien sûr, on ne va pas raconter ce qui se passe. Peut-être juste citer la 4e de couverture (chez P.O.L elles sont presque toujours ambiguës et ne révèlent quasi rien) : « Sans réfléchir, j’ai raconté que j’avais tué ma sœur. Un murmure s’est fait entendre dans le public. Il m’a semblé que c’était un murmure d’admiration. »
On saute de moments classiques, où la narration se déroule de façon habituelle, à d’autres où le personnage de Louise devient la Lise qui écrit. C’est diablement déséquilibrant et joliment transgressif. Au tout début du livre (juste après le conseil de Copain des bois sur l’eau claire) arrive un petit paragraphe tout seul, perdu au milieu de la page, avant le premier chapitre de la première partie : « Un jour, j’avais quinze ans déjà, une employée de la bibliothèque municipale enregistrait mon nom. Elle a levé la tête et m’a dévisagée : “C’est toi ? Tu étais si mignonne… Que t’est-il arrivé ?” »
Plus loin, page 141, Louise est bien devenue amie avec Manon et commence à se confier à celle-ci. « Je lui ai raconté, par exemple, l’histoire de la bibliothécaire, celle que j’ai placée au tout début de ce livre parce que je ne savais pas par où commencer. Et j’ai conclu : – J’ai seize ans et je suis déjà une vieille dame. »
Ce jeu de miroirs n’est pas juste habile et amusant. Il se double d’une réflexion sur la vie, le temps qui passe, l’identité – et autres bricoles qui nous concernent tous. Louise découvre que sa mère, au lieu de dessiner habilement à main levée, recopie les contours d’une photo sur une tablette électronique et colorie avec un pinceau numérique. « Que restait-il maintenant de ma mère ? (…) Je la regardais avec angoisse, l’angoisse de l’enfant qui ne trouve plus que sa mère est la plus belle, qui trouve qu’elle n’est même pas belle du tout, et qui pressent confusément qu’un jour elle lui ressemblera. » Jusqu’à ce que tout cela se termine, dans une sorte de château de Barbe-Bleue… 

Anne Kiesel

Paranoïa, de Lise Charles
P.O.L, 416 pages, 22 

Troubles sur un plateau Par Anne Kiesel
Le Matricule des Anges n°266 , septembre 2025.
LMDA papier n°266
7,30  / 8,30  (hors France)
LMDA PDF n°266
4,50