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Nouvelles Les Crânes razés

janvier 1993 | Le Matricule des Anges n°3

La tentation était trop forte. Ancienne assistante de direction chez Futuropolis-Gallimard, Lucie de Boutiny a jeté les amarres il y a tout juste un an pour se consacrer corps et âme à la littérature. Bicyclette dans le garage, pâtes dans la gamele : la passion est dure pour cette jeune parisienne écolo de 25 ans, titulaire d’une maêtrise de Lettres. Mais qu’importe, elle sait ce qu’elle veut. L’écrivain a un devoir moral de parler de sa génération et la nouvelle, cette politesse de faire court comme elle dit, trouve dès lors tout son intérêt. Pour elle, dans chaque récit, il faut qu’il y ait une machine à laver qui tourne, un téléphone qui sonne, du zapping en images. La vingtaine de nomuvelles qu ’elle a envoyées aux maisons d’édition attendent toujours une réponse. Dernier livre acheté : Les choses du Perec.

Razés« avec un »z« en éclair, on aimait bien sans savoir ce que le »z« débraguettait. Au premier cran, une faute d’orhographe. C’est fou ce que les gens intelligents ont pu parler de ce »z« . Ils y ont vu la fin du siècle, »ziècle« pour les plus tourmentés, la remontée du nazisme, la descente aux enfers. Allons enfants de la patrie, vous vous faites des idées, on a crée »le Salon des Crânes razés« pour rire, humour série Z, hein ma zérie ?
Quand je t’ai rencontrée, j’avais une trentaine de soleils à mon déclin, des cheveux noirs cirés au Pento avec raie au centre, plus exactement plaqués en arrière par la paume tendue de mon élégante main. Rétro encore mes rouflaquettes manouches et Black and White, mes costumes croisés d’Al Capone aux plis et revers de l’histoire. Pas assez décalé, trop délicat ? Minet-marlou, mon trenchcoat en accordéon renversé sur le bras mitraillette ? Soit.
En ce temps-là, je répondais au nom de Max, la classe, la menace, casse en tout genre, au service des antiquaires, brocs et autres amateurs de vieilleries. Petits bras mes activités, tu trouvais. Cependant, ingrate, les vieux fauteuils de dentistes et de coiffeurs, les plaquettes émaillés -Dames, messieurs, cabines, les rasoirs, à manches d’écaille, d’ivoire ou d’argent, et l’assortiment distingué- coupelles de savon-à-barbe, pots à talc, pots à crème, balayette en soie de porc pour nuque, polissoirs en cuir de buffle et les crocs de bouchers où tu accrochais les tondeuses, c’est moi, ma vie, mon œuvre de chineur ! Sans compter les portraits de Mussolini, Kojak et autres crânes lisses que j’ai trouvés pour la déco.
Nous nous sommes donc rencontrés, rue de Lappe, à la sortie du Balajo, à l’heure où il ferme ses portes au soleil levant -j’allais faire mes emplettes aux puces de la Porte de Vanves. Je t’ai aperçue très exactement au moment où, prenant bien soin de ne pas arroser mes spectator shoe, derby à bout fleuri, double semelle, bicolore, j’y tiens, en éventail, mon berreta bien en main, je déchargeais contre la tôle du permis de construire de cette résidence de luxe en béton et bow-window haïssables, ses 25 appartements de standings qui réunissent l’ambiance animée de la Bastille au calme d’un patio verdoyant qu’on allait me planter au cœur de ma vieille rue de Lappe.
- D’où tu sors avec ton costume ?, tu m’as dit avec ta voix déguingandée. C’est la guerre ? Si c’est la guerre, faut que j’aille acheter du sucre…
Et Boum ! Sur l’affûtoir du trottoir, tu te raclais la joue.
Je t’ai alors remarquée dans mon 4x4. Scotchée par la ceinture de sécurité, t’as pas bougée. Paris, au petit matin, c’est trois taxis, deux camions d’éboueurs, on a glissé jusqu’à la Porte de Vanves comme sur un fil de soie. J’ai récupéré deux fauteuils clubs que j’ai enfournés dans le coffre, puis je t’ai posée dans mon gourbis
Quelques heures plus tard, quand le réveil a sonné 17 h, notre romance s’est désaccordée à cause de nos airs. je t’aurais voulue plus féminine, sous ta capuche, t’avais le crâne lisse. Je t’ai dit la boule à zéro, ça me brosse pas. Moi, je suis bigoudi, bibi et compagnie. Sur ce j’ai accroché à mon cou Miss Blandish, seins nus, jambes repliées sous les fesses, mains croisées sur l’occiput. Miss Blandish, une de mes 53 cravates adorées.
- Voir, poupée ! Je vais refourguer mes fauteuils à Saint-Ouen. Pour la clef, chez le concierge !
Rasoirs et ennuis, le vide capillaire, sans cheveux ni lois, les collabos de la mode. Plus les revues nous barbaient de titres injurieux, plus on nous sollicitait. Sur la ligne Pigalle-Champs-Elysés-Bastille, pas un club qui n’ait accueilli les lancers de rasoirs de Dalila. Vous brossez dans le bon sens, avec notre obsession des poils et des modes, on tenait le bon fil, nous sommes devenus coiffeurs, ni pour dames, ni pour messieurs, plutôt pour yéyés sur le retour bronze, look secte Moon, tonte pour brebis égarée de son identité, tonsure pour croyantes des modes, discples de l’hygiène, fanatiques de l’audace. Tu savais tout faire : des kikis pour Tintin coquins du Marais, des brosses sculptées pour Grace Jones, des coupes Gaïa avec à l’emporte-pièce, des soleils, des lunes et des constellations.
Vu le succès de notre tournée, on a fini par ouvrir un »Salon des Crânes Razés" dans les Halles. Le Z nous a foudroyé quelques mois plus tard. Des coupes hurons, et mohicans nous ont eu à rebrousse-poil. Les pédés, les blacks ou les vrais, les purs comme eux, fallait voir avec qui on fricotait. Pas de quoi lisser quatre cheveux, nous avons promis d’aller dans le sens de leur crête. Le lendemain une bande de skins ont posé leurs Dr. Martens à lacets rouges qui m’étranglaient sur nos coiffeuses. On s’est tiré avec la caisse en moins et quelques dégâts de ma façade et de la vitrine.
Quand on est rentré à la maison pas fiers, on s’est disputé d’une série de gestes échevelés. Tu t’es avancée vers moi avec ton rasoir pivotant -triple saut de la mort que tu rattrapes toujous par le manche.
- Nous en avons parlé vingt fois ! C’est non !
Tu as ausitôt relancé un coup le coupe-coupe volant - saut arrière, looping autour de l’épaule, puis caressé ta langue avec la lame étincelante. J’ai bandé comme un polissoir tendu.
L’auriculaire sur l’ergot, le pouce sur le talon, les autres doigts sur la garde, d’un mouvement souple du poignet, tu me scalpais une première rayure blanche du nombril à la queue. A chaque passage du rasoir, tu remontais une idée géniale à propos de notre nouvelle activité, puis qu’il fallait changer. Je rétractais mon ventre en regardant la lame qui redescendait sur mon tuyau de poêle en feu. Tu m’as circonscrit quelques fantasmes sur des anus épilés, des corps glabres, des femmes au sexe de petites filles. Je te ramenais vers des réalités de notre salon envahi par ces ordures de. Tu me poussais à aller au bout de l’idée du poil : on lancerait la mode du. Je te tirais en arrière, Tu trouves ça beau ? Soudain, tu brandis le rasoir, et prête à me décapiter !
Je criais. Ne me décoiffe pas !
- Tu as raison, c’est laid. On va poursuivre dans la perruque.

Les Crânes razés
Le Matricule des Anges n°3 , janvier 1993.