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Domaine étranger Rezzori, l’oeil des Carpates

janvier 1993 | Le Matricule des Anges n°3 | par Philippe Savary

C’est dans le démantèlement de l’Empire austro-hongrois, l’exclusion d’un peuple du cours de l’histoire que se nourissent les écrits de Gregor von Rezzori. Fragments autobiographiques.

Les Neiges d’antan

Les éclats d’obus avaient creusé des cratères où la pluie s’accumulait en flaques d’eau. A quelques centaines de mètres seulement, gisait encore le cadavre monstrueusement boursouflé d’un cheval. Cette maison devait pourtant abriter une enfance gaie et heureuse, bien que brève et pleine de tensions ; c’était, à la vérité, tout le contraire d’un foyer plein d’intimité. » En 1919, l’Empire austo-hongrois n’existe déjà plus. La famille de Gregor von Rezzori, lui-même alors âgé de cinq ans, retrouve, après autant d’années d’exil en Italie et en Basse-Autriche, leur province d’origine, la Bucovine, encore meurtrie des derniers soubresauts de la Grande guerre. Mais « la race des seigneurs » n’est plus la classe dominante. Le traité de Saint-Germain-en-Laye a cédé cet appendice oriental de la vieille Autriche à la toute nouvelle Roumanie. Les désordres de l’histoire ont payé un lourd tribut à ceux qui croyaient dans l’éternité de l’Empire des Habsbourg. Sentiments d’isolement, de déchirements identitaires, quête d’un salvateur reniement : l’existence devient impossible lorsque elle ne peut plus se référer à sa mémoire.
Pour la première fois, avec Neiges d’antan, Gregor von Rezzori livre d’une manière non romanesque ses souvenirs d’enfance, fragments autobiographiques rassemblés en 1989, soit 53 ans après avoir quitté sa ville natale de Czernowitz en Bucovine (devenue aujourd’hui Tchernovtsy, en République d’Ukraine). Même si « le souvenir est loin d’être absolument fiable », écrit-il en postface, car « il sélectionne arbitrairement ce qu’il veut conserver, il écarte ce qui lui déplaît, hisse l’émotionnel au premier plan, il transfigure et détruit », son témoignage rend compte merveilleusement de la vie d’exil, d’une terre devenue subitement et charnellement étrangère.
Rezzori, lui, « le fils de la dévastation » fait revivre ses vingt premières années par tableaux où chaque personnage de son univers familial se définirait par sa propension à s’adapter à cette société « dé-rangée ». « Jadis, je ne vivais pas par moi-même, c’était mon époque qui vivait en moi », confesse-t-il. On y voit la mère, autoritaire et possessive, compenser son angoisse existentielle par d’incessantes recommandations. On y voit le père, antisémite et excentrique, qui « aimait se considérer comme un réprésentant attardé du monde baroque », oublier sa condition dans d’interminables parties de chasse. On y voit la soeur, de quatre ans son aînée, se réfugier dans les livres, nourrie par le doux mythe de sa prime jeunesse. Autour de cette famille aux aspirations inconciliables, théâtre d’un désordre continuel, souvent drôle, cherchant un abri au chaos, les gouvernantes font office de régulateur. Sa nourrice, Kassandra, à demi-analphabète, « bouffon de cour spécialisé dans le domaine linguistique » représentera « la médiatrice du monde, l’essence de la protection et de la sécurité ». Plus tard, à sept ans, il connaîtra l’ancienne préceptrice de sa mère, qui par sa patience et son savoir, le sauvera de son adolescence.
Comme une photographie plongée dans le bain du révélateur, les images de cette époque perdue s’éclaircissent au fur et à mesure de l’évocation, se reconstituent en trame pour former l’histoire d’un destin mouvementé et irréversible. Les sens s’aiguisent ; la précision des descriptions, la musicalité de la langue restituent avec une douceur exquise cet univers ambigu. Avec Rezzoni, la nostalgie a un magnifique goût d’inachevé.
Et si l’héritage de Czernowitz tombe parfois dans le tragique (sa soeur meurt à 21 ans d’une tumeur au cou), c’est que l’Histoire a toujours sa part de responsabilité. « Il n’y avait qu’un seul point sur lequel (ma soeur et moi) étions semblables et nous sentions proches : l’intelligence de la relation avec ce qui est irrémédiablement perdu. Nous connaissions la matière qui alimente la poésie de notre vie. Nous savions qu’elle est la valeur des mythes qui nous servaient à transformer les réalités perdues de notre vie. A la fin, il manqua seulement à ma soeur la force de persévérer dans le mythe. »

Neiges d’antan
Gregor von Rezzori

Traduit de l’allemand
par Jean-François Boutout
Salvy
379 pages, 140 FF

Rezzori, l’oeil des Carpates Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°3 , janvier 1993.