Temps machine marque la fin de l’ère industrielle, vue au travers d’un regard qui a connu cette vie d’usine, avec ses fracas, ses lumières comme des aciers, l’univers métallique où l’homme se décivilise pour s’abrutir de gestes répétitifs dans un enchevêtrement de bruits et de cris. De cette écriture dictée par d’incessants rêves, naissent des images impressionnistes où les ouvriers apparaissent, fantômatiques, tels les survivants de Verdun, « l’oeil égaré de qui a vu l’humanité aux prises avec elle-même… ». Ce sont les images d’un univers qui aujourd’hui a abandonné ses acteurs, comme un chien repu laisse à la pourriture les restes d’un trop large festin. Machines à tuer, machines à casser les hommes. Univers où l’on se paie de fierté, où l’on s’humilie dès l’école d’ingénieur, comme on ôterait sa part d’humanité. Souvenirs des « …graffiti obscènes, les photos découpées de magazines qu’il multipliaient dans les casiers des vestiaires ou sur les machines, et quand on serrait la main de ceux à qui il manquait des doigts… ». Souvenirs, quand même, de ces pays traversés, de regards, des bateaux, au chantier naval de Göteborg en plein décembre, « les cargos chargés de glace qui pour sortir de la Baltique défilaient devant les vitres de la cantine (…) les bateaux sans équipage visible avec leurs grands noms cyrilliques et les stalactites on aurait pu les toucher croyait-on ».
L’écriture de François Bon est toute d’images, elle arrache des friches industrielles les rumeurs qui rythmaient le monde, il n’y a pas si longtemps.
Temps Machine
Verdier
103 pages, 68 FF
Dossier
François Bon
Vacarme
janvier 1993 | Le Matricule des Anges n°3