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Domaine français Le travail à la marge

avril 1994 | Le Matricule des Anges n°8 | par Emmanuel Laugier

Zups, banlieues et lieux de l’étroitesse, Daniel Blanchard trace avec son premier roman la gravitation d’un homme dans le temps de la dispartition.

Fugitif

La parole première de Daniel Blanchard se lie à celle que d’ordinaire on accorde à la poésie : elle est expérience chez lui d’un centre vacant et de dureté, épreuve qui pousse à être au plus près « de la fermeté du réel », « face au redoutable ». Fugitif, son premier roman, naît d’une double mémoire, celle de la poésie et celle du cinéma. Sa forme narrative tient aux mouvements de plans filmiques. Son ton se resserre dans l’instant, ouvre du temps dans un espace en miette -bouts de séquences, cadrages-. Mais cette parole affirme sa tonalité la plus franche lorsqu’elle condense, au centre d’un œil ou d’un geste, comme toute l’expression de la peur, de l’abandon, de l’effacement, mais aussi celle des tentations, des joies simples. Et c’est là ce qui la raccorde encore, dans cette forme du resserrement, à l’expérience de poésie.
Ainsi deux regards -celui du cadreur et celui du poète- s’alternent, se superposent et donnent champ à la parole d’un homme de la banlieue, Emile. Celui-là est habité par la haine et la honte depuis qu’il ne fait plus rien, ayant été mis au placard par ses employeurs. Un homme, également, est venu à lui dans de trop grandes enjambées lui lancer au visage : « Par où sort-on d’ici ». Depuis, Emile garde de cet appel un regard ahuri. Car de quoi sortir ? De la ville, de la zup, de la banlieue ? Toute la giration d’Emile dans ces lieux conduira à cette question, au creusement d’une réponse en échec. Cette errance soulève une interrogation sur le politique, puisque il y va ici des lieux de marges et d’exclusions, de ces places pour les misérables et les gens de peu. Dès lors, « dans cette ruine », le mot « quitter » va l’absorber tout entier jusqu’à avoir « la mollesse froide du crachin », devenant l’un de ces mots vains et pourtant inespérés. Car quitter n’est pas seulement fuir le centre de telles marges, mais refuser sa logique d’enfermement et sa démesure, son « c’est comme ça, principe de réalité abâtardi à l’usage des dominés ».
Cependant, parce qu’il sait la vanité de ce mot, la gravitation d’Emile sera de compassion. Compassion qui n’est pas une résignation au mal et à l’indécence de ces lieux, mais un regard qui sait se pencher vers celui qui disparaît au loin sous les sacs plastiques et les cartons, comme à l’extrémité d’une route.
Entre le bistrot, les langues d’Afrique qu’il ne comprend pas, le rap lourd dans les basses, l’écran vert de la télévision lors d’un match de football, le repas avec les maçons dans les gravats, la mère qui n’en peut, les amis, sa femme, la maigreur d’un père que le fils manquant hante, le dernier pan d’une forêt, l’arbre poussiéreux près du chantier…, entre tout cela Emile tentera bien un dernier geste, celui peut-être de l’adieu, pour dessiner ces visages et les sauver, comme avant de disparaître à son tour, parce qu’il porte trop de poids.
Dans cette tourne des lieux et des êtres, c’est finalement moins à des pages qu’on se retrouve lié qu’aux plans rapides d’un regard aimenté et effondré par la violence de la domination. L’amertume de cette boucle qui ramène toujours Emile à passer par la carrière, comme pour conjurer le temps avec la belle Myriam, se doublera sans cesse de vanité : c’est là, en ce point, que l’espoir relance le pas, conduit vers l’ébauche d’un sens possible pour le reste de vie qu’il y a à vivre dans ce naufrage des cités.
Cette écriture, ample, haletante et parfois lapidaire, n’a qu’une seule tentation : l’adjectif.

Emmanuel Laugier

Fugitif
Daniel Blanchard

Deyrolle Editeur
206 pages, 128 FF

Le travail à la marge Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°8 , avril 1994.