Chez moi, entrée libre. On pousse la porte et l’on est au cœur de la place, pas d’antichambre, pas de bloc où inscrire l’objet de la visite ; pas de portes capitonnées protégeant les conférences qu’il ne saurait être question d’interrompre ! Et puis, une boutique, cela n’impose guère. On entre, le manuscrit en bandoulière. » Cet extrait des Souvenirs désordonnés de José Corti parus en 1983 -presque deux ans avant sa mort- garde un délicieux parfum d’authenticité. A la lisière du Jardin du Luxembourg, la célèbre librairie où venaient se réfugier les Char, Bachelard, Péret, Breton, Gracq n’a pas changé. Les plafonds sont hauts et une lumière voilée éclaire à peine les livres posés sur de robustes tables en bois.
C’est en 1938 que José Corticchiato a créé sa maison d’édition telle que nous la connaissons aujourd’hui, au 11, rue de Médicis. Quelques années plus tôt, en 1930, il avait relancé les Editions Surréalistes au 6, rue de Clichy. Intransigeant, passionné, doté d’un flair extraordinaire de découvreur, ce grand ami des surréalistes va vite délimiter le champ littéraire qu’il entend défricher. Dès 1938, l’éditeur-libraire inaugure son nouveau catalogue avec quatre livres fondateurs. Certains n’hésiteront pas à parler de manifeste : Les œuvres complètes de Lautréamont, Au château d’Argol de Julien Gracq, L’Ame romantique et le rêve d’Albert Béguin et le Lautréamont de Gaston Bachelard. La poésie, Julien Gracq, le romantisme, l’essai littéraire : la ligne éditoriale est tracée ; et jusqu’à sa mort, le « vieux monsieur à la blouse grise » aura maintenu ce cap ne se souciant guère des turbulences des effets de mode et des compromissions de la profession. La rose des vents qui orne chacune des publications est là pour le rappeler. En 1941, José Corti ajoutera même la devise « Rien de commun », une distinction autant pour éviter la collusion -en arrivant à Paris, les Allemands avaient créé une émission de radio appelée « Rose des vents »- que pour souligner son affranchissement éditorial.
C’est maintenant Bertrand Fillaudeau qui dirige la maison en compagnie de deux autres salariés. Une succession plutôt fortuite. En 1980, de retour du service militaire et son doctorat de lettres en poche, il rencontre « Monsieur Corti » par l’intermédiaire de son beau-frère médecin qui habitait dans l’immeuble de la rue Médicis. José Corti venait de faire une mauvaise chute dans l’escalier. A 85 ans, il avait besoin d’être secondé. Le nouvel arrivant commence par gérer les stocks, transporter les paquets. Curieuses circonstances : Bertrand Fillaudeau rentrera le jour même où 36 ans plus tôt, le fils unique de José Corti était déporté par les Allemands. Un signe prémonitoire dont l’éditeur, pour qui l’image du fils enlevé et trahi fut à jamais gravé dans sa mémoire, n’était pas insensible. Bertrand Fillaudeau sera son successeur.
Aujourd’hui, cet amoureux de Rimbaud, qui lit parfaitement l’anglais et l’espagnol a pour principale mission de...
Éditeur José Corti : la marche hors du temps
En 1938, José Corti publiait Gracq, Bachelard, Lautréamont. Aujourd’hui, dix ans précisément après la disparition de son fondateur, l’éditeur-libraire de la rue Médicis a préservé sa singularité : cohérence, fidélité, le tout hors actualité.