Je suis ombrageux et gourmand, gai en société, incapable de la moindre confidence, passionné d’être seul. J’aime la lecture parce que c’est la seule conversation à laquelle on peut couper court à tout instant, et dans l’instant. J’aime peu le sommeil, gouffre qui a partie liée avec la mémoire. Je suis musicien autant qu’il s’agit de jouer de la musique. » Quand on donne à lire ce passage du Salon du Wurtemberg à Pascal Quignard en lui demandant s’il ne s’agirait pas d’un autoportrait, il sourit, sceptique : « Il n’y a pas beaucoup de biographies humaines qui ne soient pas similaires, dit-il. Nous nous ressemblons tous énormément. Sur ce point, le bouddhisme me paraît intéressant. » Soit. Il n’empêche que la singularité de l’auteur de - pour ne citer que ses trois derniers ouvrages - Le Nom sur le bout de la langue, Le Sexe et l’effroi, L’Occupation américaine est bien réelle.
Pascal Quignard est né le 23 avril 1948, un vendredi saint, à Verneuil-sur-Avre, dans l’Eure. Monsieur et Madame Quignard sont tous deux professeurs de lettres classiques. Le premier est issu d’une famille d’organistes d’origine wurtembergeoise et alsacienne tandis que le grand-père maternel, Charles Bruneau, est l’auteur, avec son homonyme Ferdinand Brunot, d’une fameuse Histoire de la langue française. « Ces grands connaisseurs de la langue vous piétinaient à la moindre faute ». D’où la nécessité, pour se montrer à la hauteur, de maîtriser le français rapidement et dans ses plus fines subtilités. Quant au goût pour ce que Pascal Quignard nomme les « langues originaires », le latin et le grec, il lui vient des jeux étymologiques qu’affectionnait sa mère. « Il n’y avait pas un repas qui ne soit interrompu par des recherches dans les dictionnaires. C’était à la fois fascinant et un peu effrayant de voir les lèvres de ma mère prononcer des mots cabalistiques, des dérivations dépourvues de sens pour un enfant. » Très vite, il est pris par une passion qui est restée la passion de sa vie : la lecture. Il se souvient de lui, vers quatre ou cinq ans, les pieds sur un petit établi, lisant Peau d’âne ou les Contes et légendes de la collection Hachette. « Comme les panoplies de mousquetaires, de cow-boys ou de centurions romains, c’était revêtir des mondes imaginaires. »
Pascal Quignard a passé toute son enfance au bord de la Seine. Au Havre d’abord, de deux à dix ans, « une ville en reconstruction entièrement rasée par la guerre, ce qui fait qu’on pouvait la traverser sans jamais cesser de voir la mer » puis à Sèvres à partir de 1958. Mais c’est la Loire à Ancenis où il passe toutes ses vacances de Pâques qui le marque le plus. Elle est présente dans plusieurs de ses livres, et particulièrement dans L’Occupation américaine. « La Loire n’est pas un fleuve comme les autres : elle a les crues les plus fortes, une civilisation : la Renaissance… C’est un fleuve un peu sacré. » La Loire est aussi liée à la musique : à l’occasion de mariages et d’enterrements, il y a joué...
Dossier
Pascal Quignard
Pascal Quignard : l’intégrité d’une parole
La publication d’un livre de Pascal Quignard constitue désormais un événement. En 25 ans d’écriture, l’auteur des Petits Traités n’a cependant rien cédé à la facilité. L’Occupation américaine qui marque son départ chez Gallimard est un roman âpre, douloureux, fulgurant.