La jaquette très colorée des Poésies complètes de Louis Brauquier offre la photographie d’un jeune homme aux traits méditérannéens. Cheveux bruns, teint bronzé, il a des faux airs d’Albert Camus et l’allure sereine d’un homme qui connaît son destin.
Né en 1900 à Marseille, il s’engage en littérature avec son accent. Il crée La Coupe, une publication d’inspiration provençale puis rejoint Fortunio, la revue de Marcel Pagnol et Jean Ballard qui portera le flambeau de la poésie durant l’entre-deux-guerres en devenant Les Cahiers du Sud.
À vingt-quatre ans, Brauquier est le poète reconnu de Marseille et de la vie portuaire auxquels il a consacré son premier recueil Et l’au-delà de Suez en 1923. Pour vivre, il s’engage dans une compagnie de transport, les Messageries maritimes qui s’accomodent mal des casaniers. Il effectuera toute sa carrière entre Sidney, Nouméa, l’Algérie, l’Égypte, Madagascar et Shangaï au rythme nonchalant des cargos.
En quittant la Canebière et le Vieux-Port, Louis Brauquier perd son centre de gravité et la simplicité « Du vin blanc de Cassis, du pain craquant, des huîtres,/Les œuvres de Whitman,/Un voilier laissant lire à la brume des vitres,/Le nom de Rotterdam. » Cet éloignement qui nous paraît un exil lui assure cependant une retraite tropicale où il cultive sans hâte son égotisme délicat. « Je sens bien que tout est à moi,/Que tout me fut bon de la terre ».
Dans ses poèmes narratifs, l’agent des Messageries énumère les cargaisons rangées dans des caisses qui arborent tous les noms de la terre « Fénérive et Farafangana/ (…) Ambiloube et Mananjary. », il détaille le commerce des hommes qui côtoient les bateaux. « Tout secoué d’amitié, le bar oscillait comme en mer ».
Le copieux ensemble de ses écrits Eau douce pour navires (1930), Liberté des mers (1941), Feux d’épaves (1970), le drame Pythéas, etc. publié par Olivier Frébourg permet d’établir la filiation de ce poète insulaire. Disciple de Rimbaud, confrère de Conrad, Louis Brauquier est « chantre du commerce et louangeur de la mer ensorcelleuse ». Il a ancré son œuvre dans le bouillonnement des années vingt dont il partage l’excitation du mouvement et la célébration des paquebots, ces « cathédrales » de la modernité, avec Saint-John Perse, Paul Morand et Blaise Cendrars.
Pourtant, il est le poète de l’attente, celui qui reste au port quand les autres bondissent par dessus les fuseaux horaires. Scrupuleux comme une vigie, il étudie le mouvement des bateaux en attendant celui qui le ramènera à Marseille où il meurt en 1976.
Je connais des îles lointaines
Louis Brauquier
La Table ronde
566 pages, 150 FF
Histoire littéraire Les mers chaudes
mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11
| par
Éric Dussert
Un livre
Les mers chaudes
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°11
, mars 1995.