Après le Coran et les Mille et une Nuits, entre autres traductions capitales, René Khawâm livre aujourd’hui une édition consi-dérablement augmentée et partiellement revue d’un livre jadis paru chez Seghers.
L’organisation du volume, divisé en cinq grands mouvements : Les poètes primitifs, Les poètes musulmans, Les poètes modernes, Le provincialisme et L’ef-florescence contemporaine -auxquels s’ajoute une recension des différents mètres de la poésie arabe, qui justifierait à elle seule l’acquisition du livre-, ne saurait empêcher chaque lecteur de s’abandonner au magnétisme dont il subit le plus volontiers l’influence, au gré d’un parcours électif à travers les textes et les siècles.
Il semble en effet que le commun adage des poètes arabes se confond avec le précepte de Musset : « Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ». Il s’agit moins là d’une référence au genre bachique (représenté par Al Akhtal -mort vers 710 ou par Abou Nowas -mort vers 810) que de souligner le talent et l’enthousiasme dont font preuve nos écrivains pour célébrer indifféremment -chacun selon sa pente intime- le goût du combat, la puissance de l’amour, la beauté de la femme ou la grandeur de Dieu.
Quitte à hérisser le poil des prétendus gardiens de la loi, les amateurs de poésie érotique, (re)découvriront ainsi une littérature émancipée, d’une liberté de ton inconnue en Occident jusqu’à une date récente, ainsi qu’en témoignent ces vers de Boulhoul, un contemporain du célèbre Khalife Haroûn al-Râchid :
« Ma seule et folle convoitise / est dans la conjonction d’amour /oui, tout aux femmes, à leur empire /sans hésiter ni ergoter !
Si pleure leur doucette fente /l’absence de mon instrument /mon cœur me fait amer reproche /et remords sans fin me poursuit
Tiens, voici l’objet qui se dresse, /vois donc ses formes et son ampleur ! /Lui seul éteint la soif ardeur /qui te consume à incendie »
Les amants transis, quant à eux, ne resteront pas indifférents aux soupirs confraternels de Qays Ibn Al-Moulawas, mieux connu sous le nom de Madjnoun Layla (Le Fou de Layla), et ceux qui préfèrent lire les yeux levés au ciel trouveront également leur bonheur chez Soumnoune l’amoureux (mort en 915) : « Seigneur, j’accepte/ que tu te détournes de moi/ même durablement/ si tel est le signe/ de ton Amour ».
Plus près de nous, les péripéties d’un destin collectif tourmenté marquent les vers de maints poètes d’origines diverses. Palestiniens, bien entendu, avec Mahmoud Darwiche (« Racontez-moi mon pays/ ce pays qui semble un rêve/ où se perd, où se noie/ l’horizon de ma vie ») et Saih Al-Qasim, mais aussi Libanais (Adonis), Irakiens (Ma’rouf Al Rousafi) ou Egyptiens (Al-’Abbas Mahmoud Al-’Aqqad).
Plus d’un personnage singulier apparaît au détour d’une page, tel Al-Houleya - mort en 650 - poète contrefait et venimeux qui, après avoir accablé de sarcasmes et malédictions ses père et mère, n’a ensuite plus eu d’autre ressource que de déverser son excès de fiel sur… lui-même, ou Ibn Qays Al Rouqayyate qu’André Breton aurait sans doute reconnu comme un ancêtre en surréalisme.
La Poésie arabe est le livre d’une vie. Celle du traducteur, pour commencer, puisque cette anthologie ponctue de belle façon près d’un demi-siècle consacré à la langue et à la littérature arabes. Celles de tous les lecteurs assez avisés pour en soulever la couverture -et tous les voiles- tant les textes ici rassemblés invitent à une quête sans fin de la Beauté, dont le mirage se lève à chaque mot sur une page blanche.
La Poésie arabe
Anthologie traduite et présentée
par René Khawâm
Phébus
496 pages, 169 FF