Didier Goupil est, à l’évidence, un lecteur de Pierre Michon. L’affirmation pourrait reposer sur quelques thèmes de son recueil de nouvelles Maleterre. De C’est un Chef-d’œuvre qui ouvre le recueil à L’Ogre qui le clôt, ce jeune écrivain de 32 ans aime tremper sa plume dans la palette des peintres. On songe alors àVie de Joseph Roulin et Maîtres et serviteurs de Michon (Verdier). On resterait, en disant cela, à la surface des choses. Car il suffit de lire l’excellente nouvelle qui donne le titre au recueil (et dont le MdA n°4 publia un extrait) pour se rendre compte combien la phrase ici, épouse les rythmes de certaines pages de Michon. L’éloge se doit certes d’être modéré. Il n’empêche ; Didier Goupil s’inscrit résolument du côté des stylistes et il arrive que parfois, ses phrases respirent d’elles-mêmes. A ce titre deux nouvelles paraissent bien au-dessus du lot : C’est un Chef-d’œuvre et Maleterre. Dans chacune de ces nouvelles (comme dans la plupart d’ailleurs), l’acte de création et l’obsession qui le sous-tend forment la toile de fond du récit. De la première, on retiendra cette poésie aérienne et inquiétante : un père est fou amoureux de son fils. Le père photographie comme un boulimique mange. Capturer le monde dans la boîte noire de son appareil lui tient lieu de nourriture. Son fils, enfant attardé, ne cherche pas à attraper le monde, il le change en le repeignant sans cesse, maculant de mille couleurs chaque chose sur laquelle son regard se porte. L’auteur excelle dans l’art de nous conduire vers une limpide évidence : on peut bâtir d’immenses cathédrales, le ciel dominera toujours l’édifice.
Cette idée reste présente dans Maleterre où Didier Goupil retrace les premières années de la vie d’un peintre narbonnais, épris de peinture au point de monter à Paris et de croire en son génie. Adopté par Max Jacob, Pablo Picasso, Juan Gris, Maleterre ne laissera aucune toile à la postérité : « A-t-il persévéré ? S’est-il éteint à petits feux ? A la mort du père, (…)a-t-il repris les quelques hectares du vignoble familial et fait son vin, année après année, jusqu’à la fin ? » et plus loin « Ce qui nous plairait maintenant, les livres d’histoire et les histoires de l’art ne nous le diront pas. Ils n’ont cure des démangeaisons de Maleterre à Fontfroide (…). Les pinceaux et les boîtes de couleurs retrouvés, Paul se remettrait à peindre. Oh ! rien d’extraordinaire ! Sans doute peindrait-il des tableaux pour salle à manger, de ceux où l’on trouve perdrix et pigeons, lièvres et faisans. Ses spécialités seraient les animaux et les fruits. Surtout les taureaux et les grappes de raisin. » Il y a dans ce désir, comme le rêve d’un renoncement à toute création. C’est comme si Didier Goupil, au long de ces neuf nouvelles, prenait plaisir à caresser les méandres de la création en sachant que l’essentiel est dans la caresse. Dès lors, on pourra reprocher la superficialité du ton de certaines nouvelles, l’absence de pensée profonde (de certitude), d’expérience. Mais ce serait reprocher à un quatuor de musique de chambre de mal jouer Wagner. Ce n’est pas le talent qui manque à Didier Goupil mais peut-être seulement la volonté de se sacrifier pour lui. Il n’est pas sûr en effet, qu’entre Rimbaud et Carjat vus par Michon, Didier Goupil n’éprouve finalement plus d’attirance pour le second « qui n’eut pas l’outrecuidance de faire passer sa pratique pour l’univers (…) embrasser une seule manie, un art comme on dit, mais un seul, s’y tenir, férocement s’enfermer avec comme dans un sac au fond de quoi on a jeté la mère qu’on a, les enfants qu’on n’aura pas, tous les hommes(…) » (Rimbaud le fils, Gallimard). Car à quoi bon créer une œuvre quand il y a déjà le ciel et la mer ?
Maleterre
Didier Goupil
Alfil
176 pages, 50 FF
Domaine français Entre Rimbaud et Carjat
septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13
| par
Thierry Guichard
Neuf nouvelles d’un jeune auteur taraudent la question de la création et de ce qu’elle mérite qu’on lui sacrifie. Maleterre de Didier Goupil.
Un livre
Entre Rimbaud et Carjat
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°13
, septembre 1995.