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Domaine étranger Le temps suspendu d’Eros

septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13 | par Alex Besnainou

Le Point d’orgue est le lieu du temps arrêté, celui pù tout est permis. Nicholson Baker n’en voit qu’une seule utilité : l’érotisme.

Le Point d’orgue

Si on osait, on placerait Nicholson Baker entre Saint Jean et Calaferte, le premier débutant son Evangile par « Au commencement était le Verbe » et le second, dans Septentrion, par les mêmes mots, substituant tout de même (et là réside sa force) le terme verbe par celui de sexe. Baker serait en quelque sorte le chaînon manquant, celui qui tisse entre le verbe et le sexe une relation si forte qu’elle en devient osmose.Vox, son précédent roman, relatait déjà un dialogue érotique entre un homme et une femme inconnus l’un de l’autre par le biais du téléphone rose. De la puissance du mot sur le plaisir du corps. L’amour virtuel via le langage. Le Point d’orgue poursuit ce cheminement en y ajoutant une dimension fantastique. Cette fois, Arno Strine, le narrateur qui écrit là sa biographie possède un étrange pouvoir : celui de figer le temps. Pour les autres, pas pour lui. Il peut donc suspendre la vie de tout le monde et déambuler dans ce temps immobile (qu’il nomme l’Enclos ou le Point d’orgue) pour y agir à sa guise à l’insu de tous. Toutes les possibilités sont donc offertes, mais une seule intéresse notre Arno : le sexe. Et plus encore que le sexe, le fantasme érotique. Arno n’est pas un hussard, c’est un gourmet, un pour qui l’érotisme est cette lente montée du désir, la durée de l’attente qui part du rien et, par la seule force du mot, va à la jouissance. Il se contente le plus souvent de déshabiller les femmes, de les observer, de les toucher le plus délicatement possible. Mais cela est insatisfaisant. Alors Arno écrit, il rédige des textes érotiques, il enregistre des cassettes qu’il place de telle sorte que ces femmes en aient connaissance. Et là, grâce à son pouvoir magique, il observe l’effet que ces textes ont sur elles, l’émoi qu’ils suscitent.
Le plaisir d’Arno vient du plaisir qu’elles se donnent et que lui, par ses phrases, a provoqué. Douce et gentille perversion mais Baker peut-être même inconsciemment a construit sur le texte érotique une analyse à tiroirs. L’écrit érotique n’est qu’écrit et Le Point d’orgue peut entrer dans cette catégorie, mais à l’évidence, les seules scènes réellement érotiques sont celles rédigées par le narrateur (ces textes qu’il offre aux femmes) comme si, même dans la fiction de ce roman, Baker était obligé de s’éloigner de cette fausse réalité, ce réel imaginaire qu’est une histoire, pour laisser libre cours à ses fantasmes sexuels.
Chez Baker, rien ne peut avoir lieu pour de bon, dans sa matérialité, le sexe est langage et uniquement langage. Son seul rapport amoureux in facto d’ailleurs lui fera perdre son pouvoir. Peut-être est-ce là la morale de ce livre (s’il doit y avoir une morale), l’amour n’a pas besoin d’artifice pour accéder à l’érotisme, ils sont inclus l’un dans l’autre.
Mais le roman de Baker n’est pas que cela, son plaisir d’écrire, sa folie narrative, sa capacité d’invention de situations plus délirantes les unes que les autres font de ce livre une mine de burlesque et un vivier de trouvailles. Les pages complétement farfelues à propos de machine à laver, de rotation, d’ampoules aux mains et de fil à coudre, tout cela relié par une logique étrange, sont à ce propos particulièrement réussies.
A titre anecdotique, les quelques coquilles (plutôt rares dans les éditions Christian Bourgois) qui parsèment le livre sont peut-être la preuve que Baker a réussi son pari : troubler le correcteur ou la correctrice par la seule puissance érotique de ses mots.

Le Point d’orgue
Nicholson Baker

traduit de l’anglais
par Jean Guiloineau
Christian Bourgois
307 pages, 140 FF

Le temps suspendu d’Eros Par Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°13 , septembre 1995.
LMDA papier n°13
6,50