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Nouvelles L’accueil de la mer

novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14

Née en 1965, Isabelle Chemin suit des études de lettres à Paris et participe à des ateliers d’écriture depuis deux ans. Elle n’a jamais été publiée à ce jour. Elle est l’auteur de plusieurs nouvelles et a entamé deux projets personnels dont l’un est constitué d’une cinquantaine de pages. Aime Proust, Gracq et la littérature latino-américaine. Derniers livres achetés : La Salle de bain de Jean-Philippe Toussaint (Minuit) et Le Fleuve caché de Jean Tardieu (Gallimard).

Le souffle de la mer soulevait les herbes égarées et la poussière qui jonchaient le sentier. C’était une journée calme et des bêtes noires dans les ronces se faufilaient. Sur le rivage, les vagues s’échouaient lentes et silencieuses. Les oiseaux de mer perçaient parfois le ciel de leurs cris de sirènes. A mesure que l’on suivait le chemin, on voyait la terre au loin se dessiner le long de l’eau, se découper aux lames de la mer. Les marcheurs pouvaient dépasser les pierres, les joncs et les genêts, ils pouvaient parcourir des kilomètres, sans but, sans parvenir à autre chose, sans renconter un autre décor. La route se poursuivait, longue et sinueuse jusqu’à l’autre département où l’on disait que le climat était plus chaud et moins violent. Après, bien après les dernières maisons, après avoir franchi le sentier qui dévalait vers le village, le chemin se resserrait et devenait un endroit plus difficile à suivre. Le passage était fréquemment obstrué de ronces qui piquaient si l’on n’y prenait pas garde. De l’autre côté, s’étalait l’eau qui se fracassait sur la lave des rochers. L’ascension devenait plus rude et la descente était escarpée. La bataille commençait véritablement à cet endroit. Les alentours tranquilles de la demeure et les courbes sages de la plage avaient disparu et la nature du pays se mettait à respirer.
La montagne de ronces abritait des bêtes sauvages qui parfois poussaient leurs plaintes au bruit des marcheurs. Les serpents malins pouvaient se cacher du soleil qui les faisait souffrir. Leur venin se fondait aux piqûres naturelles des ronces folles.
Le périple était dangereux jusqu’aux ruines d’un château abandonné que Pierre et Frédéric accompagnés d’Adèle avaient choisi d’atteindre. Les jeunes gens avançaient sur le sentier, l’un derrière l’autre, prudents à chaque pas mais leur marche était ferme et rapide. Pierre et Frédéric marchaient devant, suivis d’Adèle, tous au même rythme, saccadé et puissant. Pourtant, après quelques minutes de progression de ce désert, Adèle s’arrêta pour contempler la baie bleue du ciel et de l’eau qui scintillait au soleil. L’air doux sécha les perles de sueur qui s’étaient formées sur son cou. Elle ferma les yeux sous l’emprise du paysage et des rayons chauds. Elle tituba légèrement dans le vent salé, chancelante sous l’obscurité totale. Ses pieds auraient pu s’avancer de quelques mètres et elle aurait pu facilement rallier la roche et la mer. Elle imaginait qu’elle aurait pu descendre sans se faire mal. Elle aurait bien aimé pouvoir traverser les trous sombres des rochers coupants sans encombres. Elle aurait survolé l’eau miroitante et écumeuse, happant l’air frais dans ses poumons, se laissant transporter au gré des vents. Elle aurait pu reconnaître les îles dont on lui avait tant parlé, lointaines et dangereuses pour les marins et les bateaux. Elle y aurait fait halte, avant de repartir, faisant connaissance avec leurs habitants, leurs animaux, leurs paysages. Dans le ciel, elle ne craignait rien. Les dangers provenaient de la terre obscure, mystérieuse et inamicale. Elle aurait eu le temps de revenir tranquillement, rasant les vagues chaudes pour se poser enfin sur le plus haut des rochers où la vue était sûrement la plus belle. Elle aurait même pu pousser jusqu’aux ruines du château où elle aurait choisi le meilleur endroit, de sa haute puissance, de ses ailes. Elle serait arrivée en même temps qu’eux mais à la cadence languissante de ses mouvements dans le ciel clair. Ils n’auraient rien pu voir de ce qu’elle avait reconnu. Les tas de pierres rouges, les tourelles brisées, l’herbe qui poussait au milieu des salles d’autrefois à présent imaginaires, abandonnées, et le renard qui se serait sauvé au bruit des semelles. Ils n’auraient pu imaginer le plan parfait du château, perdu par leur regard au niveau de la terre, dont les tours, les murs, les guérites, les sentiers avaient été admirablement bâtis. Elle se serait posée dans l’embrasure d’une archère, à l’abri du vent qui devait être plus violent à cet endroit, à voir bouger la cime pourtant solide des arbres secs habitués aux caprices du large. Elle aurait pu s’arrêter à chaque pierre, les toucher de ses pattes, les effleurer de ses ailes, sans les réveiller. Elle n’aurait pas eu besoin de faire crisser le tas de pierres éboulées et d’étouffer les herbes hautes qui avaient grandi à la mort des murailles. Elle aurait pu se balancer sur les branches qui tombaient dans le vide, sans les faire plier, sans écorcher l’écorce du tronc qui avait pleuré à chaque coup de couteaux. Elle n’aurait pas été tenue de refaire le chemin en sens inverse, butant aux mêmes pierres dissimulées dans le sable, se blessant aux ronces méchantes. Elle n’aurait pas eu du mal à respirer à l’approche du morceau de sentier pareil à une falaise, qu’elle avait dû dévaler se tordant les chevilles et qu’elle aurait à gravir, plus tard lorsqu’ils auront songé à repartir. Ils n’auraient pas eu besoin de l’attendre à chaque passage difficile, à se soucier d’elle dès qu’elle avait marqué la distance entre eux, après un virage qui les avait fait disparaître. Elle aurait pu voler au-dessus du chemin, en sens inverse, découvrant le ciel à cet endroit si lumineux, si tiède. Elle aurait facilement regagné le sable doré et plongé, radieuse, ses ailes fatiguées dans l’écume des vagues dont elle n’aurait pas senti le froid fouet.

L’accueil de la mer
Le Matricule des Anges n°14 , novembre 1995.