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Égarés, oubliés L’homme qui voulait rendre le pain gratuit

novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14 | par Éric Dussert

Il a comparé Ravachol au Christ, fréquenté le Tout-Paris et fait campagne contre la pauvreté. Itinéraire du poète et romancier Victor Barrucand, dernier mentor de l’aventurière Isabelle Eberhardt.

Les lecteurs de l’Histoire du mouvement anarchiste de Jean Maitron vous le diront, le nom de Barrucand ne leur est pas inconnu, et pour cause : à la croisée des sphères littéraires, sociales et politiques, cet homme brillant s’est immiscé dans tous les débats de son époque sans pouvoir fléchir la postérité. Injustement du reste, mais il faut croire qu’à brasser trop d’idées, ce touche-à-tout s’est dispersé.
Quelques lettrés s’arrachent encore un bel album sur l’Algérie et les peintres orientalistes (1930), se souviennent d’Adilé sultane, un roman à la mode exotique et le plus intéressant de ses livres, Avec le Feu (1900) mérite de trouver ses lecteurs. Au temps des procès contre les anarchistes, il fait le récit de la formation d’un jeune homme idéaliste qui tourne le dos à la violence. Roman de la maturité, Avec le Feu préconise la voie du militantisme, celle qu’a suivie cet homme altruiste.
Victor Barrucand est né le 7 octobre 1866 à Poitiers d’un marchand de chaussures et d’une fille de charpentier. Orphelin de père à quatorze ans, brillant élève, il se heurte à sa mère qui refuse de lui donner cinq francs afin de passer avant l’âge requis son baccalauréat. Cette femme de caractère lui en offre cependant onze : dix pour se rendre à Paris et un pour lui envoyer un télégramme lorsqu’il voudra rentrer au bercail. Précaution superflue, Victor est débrouillard.
D’abord manœuvre dans une usine chimique, il devient flûtiste par un détour dont on ignore tout, puis se consacre à la littérature. En marge du symbolisme, il publie Rythmes et rimes (1886) puis Amour idéal(1889) qu’il dédie à Mallarmé le « poète de l’azur et des fleurs ». Ce dernier le remerciera le 21 mai 1889 : « Mon cher poëte, vous tenez votre gageure, j’admire ! et de la façon la plus spirituelle, sans mentir à votre titre. Une succession de poëmes, avec art agencés d’abord a fait un Poème  : en voici un autre, montrant l’omniprésence de votre doigté ; tant de rythmes, qui existe du fait du sujet même. Votre vers est délicat et franc et toujours chante, avec du mystère. Merci et j’attends encore. »
Fort de cette reconnaissance, il écrit encore La Chanson des mois et Triomphe (1889), fait des traductions de textes norvégiens, suédois, italiens et indiens. C’est d’ailleurs la littérature indienne qui lui offre son plus grand succès avec le Chariot de terre cuite, adaptation d’un drame du répertoire indien illustrée par Toulouse-Lautrec. La pièce est représentée en 1885 au fameux Théâtre de l’Œuvre, haut-lieu fréquenté par Jarry, Tinan et Rachilde.
Victor Barrucand mène une vie sociale brillante, fréquente les Mardrus -lui est le traducteur des Mille et une Nuits, elle, poétesse et lesbienne militante- et Félix Fénéon qui lui ouvre en 1894 les pages de l’éminente Revue blanche. Aux côtés du critique Léon Blum, il chronique la littérature italienne et publie des mémoires inédits de révolutionnaires.
Dans le même temps, Victor Barrucand collabore aux organes de l’anarchisme dont il se sent proche, les Temps nouveaux de Jean Grave ou l’En-Dehors de Zo d’Axa dans lequel il esquisse un parallèle fameux entre Ravachol et le Christ « qui, à quelques égards, fut un anarchiste » 1. De même, au lendemain de la dégradation de Dreyfus, il cosigne avec Fénéon une courte note où ils stigmatisent le « spectacle de l’immobilité servile des uns et de la fureur lyncheuse des autres » 2.
Désireux de faire valoir ses idées humanistes, il lance en juin de la même année une campagne en faveur du pain gratuit -question qui reste d’actualité. À coup d’articles et de conférences, il tente de mobiliser l’élite socio-politique. Malgré tous ses efforts et la publication de sa thèse agrémentée des commentaires des célébrités de l’époque (Clemenceau, l’abbé Lemire, Elisée Reclus, Kropotkine, etc.)3, sa proposition paraît gentiment utopique et n’obtient aucun résultat. Convaincu que ses propositions peuvent faire carrière, il se présente encore à la députation d’Aix-en-Provence et mène une campagne médiocre qui n’aboutit pas.
Amer, il quitte la France pour l’Algérie et devient le bras armé du sénateur Paul de Gerrante dans son combat contre l’antisémite Édouard Drumont qui veut faire d’Alger son bastion.
En 1902, Victor achète l’Akhbar, un journal créé en 1839 qu’il met au goût du jour et consacre à l’assimilation des colonisés dans des éditions bilingues. Plus tard, il publiera un texte de résistance intitulé Drumont et l’Algérie (1913) dans lequel il démontre que la question « indigène » lui tient vraiment à cœur. Elle le met d’ailleurs en contact avec deux personnalités sinon progressistes du moins libérales : le général Lyautey avec qui il se lie d’amitié et Isabelle Eberhardt dont il devient le mentor et sans doute l’amant.
Après la mort tragique de l’aventurière, Lyautey fait chercher les manuscrits dans sa maison dévastée par la boue, et les transmet à Barrucand qui publiera Dans l’Ombre chaude de l’Islam, Notes de route, Trimardeur et Pages d’Islam. Assez maladroitement du reste puisqu’on l’accuse de les avoir remaniés et caviardés4.
C’est en tout cas le dernier des grands travaux de Victor Barrucand qui compte parmi les victimes de la crise boursière de 1929. Ruiné et malade, il meurt le 7 octobre 1934 à El Biar dans la banlieue d’Alger. Il « eut des funérailles officielles splendides ».

1Philippe Oriol (éd.). Ravachol, un saint nous est né. Librairie la Tour Saint-Jacques, 1992.
2Revue blanche (1er février 1895).
3Le Pain gratuit, Chamuel éditeur, 1895.
4René-Louis Doyon, Mémoires d’homme, La Connaissance, 1954

L’homme qui voulait rendre le pain gratuit Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°14 , novembre 1995.