Dans Léonore, toujours (L’Arpenteur), Christine Angot proposait le journal d’une jeune mère écrivain, dont la naissance d’une fillette, Léonore, mettait en péril le travail d’écriture. Cette narratrice qui s’appelait aussi Christine Angot, renonçait à l’élaboration d’une œuvre pour, simplement, marquer à l’encre noire chaque jour passé avec sa fille. Le bonheur de la maternité (ses angoisses aussi) était exprimé en termes simples. Sous un air de ne pas y toucher, le roman inoculait un amour maternel d’une telle intensité qu’un célibataire endurci et nihiliste aurait été touché. A la page 45 de ce roman, la narratrice donne à lire quelques vers « j’ai composé ce poème, très vite au fil de la plume. Je suis contente et je le dois à Léonore ». Mais quelques pages plus loin (p. 66) : « Maintenant je dois avouer quelque chose. J’ai menti. (…) J’ai recopié un poème dans Impressions du sud, une revue pas connue, et j’ai dit qu’il était de moi. (…) Il était de Marina Tsvétaïeva. » Belle façon de nous mettre en garde : ce qui est dit, écrit, peut être mensonge…
Dans son nouveau roman, Interview il y a aussi des phrases qui ne sont pas de Christine Angot, une belle ritournelle sussurrée par Dominique A et placée dans la bouche de l’intervieweuse. Car Interview porte bien son nom : une journaliste de presse féminine, par ailleurs romancière, mène un entretien avec l’écrivain Christine Angot dont les romans témoignent d’un inceste. Et, bien sûr, ce qui intéresse la journaliste, ce n’est pas le travail littéraire de son invitée mais bien, à la Mireille Dumas, le témoignage bouleversant et intime sur ce drame.
L’auteur mêle deux récits : celui de l’entretien, martelé de questions et ponctué de remarques futiles (« Vous avez de la chance d’être bronzée en janvier. ») et celui qui relate son séjour en Sicile, passé dans un pur bonheur. Cette alternance joue comme un balancier, le récit sicilien venant souvent contredire les jugements à l’emporte-pièces de la journaliste. A ses déclarations péremptoires, propres à nier toute valeur littéraire pour ne conserver que le témoignage (« Que je ne suis pas une styliste. Que je ne suis pas une femme de lettres en somme »), succède la relation d’un séjour en famille aux pieds de l’Etna, où le style, justement, s’érige haut, riche de libertés que beaucoup n’osent pas prendre : « Dans le jardin, Giuseppe s’occupait de Léonore, surtout la violence du chien » ou encore, pour exprimer le bonheur de vacances à ne faire presque rien : « On regardait les poissons vivre. »
Parce que ce que l’écrivain dit est fort, cruel, impudique -il n’y a qu’à lire les premières pages de Vu du ciel (L’Arpenteur)- la société, et donc la journaliste qui en est la représentante, ne voudraient considérer Christine Angot que comme personnage de ses romans. En oubliant que ceux-ci appartiennent à la littérature et non à la réalité. C’est donc à une censure à rebours que s’attaque la romancière, une censure qui affirme...
Entretiens Christine Angot l’ambiguë
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Thierry Guichard
Cruelle, tendre et impudique l’oeuvre de Christine Angot se donne tous les moyens de ne pas être prise pour ce qu’elle est : de la littérature. La preuve par le roman avec la sortie d’Interview.
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