Ne serait-ce pas tout autant d’effraction que de réfraction dont il s’agirait ici ? Passe-muraille des apparences cadenassées, Salah Stétié, Grand Prix de la Francophonie 1995, nous guide une fois encore avec Réfraction du désert et du désir -titre en forme de sésame- vers une dimension clandestine où les mots ne s’ordonnent plus selon les conventions du dictionnaire mais au gré des affinités poétiques. Les mots ayant ainsi recouvré un peu de leur éclat originel, il s’agit alors de faire rendre gorge à quelques idées reçues, notamment l’opposition Nord/Sud, si profondément inscrite dans les problématiques méditerranéennes.
Si Réfraction du désert et du désir s’avère aussi une exceptionnelle leçon de littérature, une passerelle jetée par dessus les millénaires entre les poètes pré-islamiques de la Jâhiliya et Mallarmé, l’auteur conçoit toutefois son écriture « comme un entrelacement de thèmes (…) avec les avancées et les reculs qu’il faut pour ne pas tomber dans la démonstration ». Autant dire que la rêverie le dispute sans cesse à l’essai.
Cette songerie s’organise essentiellement autour d’une scène capitale, jouée et rejouée par la qacida, poème arabe traditionnel des temps anciens : « Le narrateur s’arrête en plein désert devant les vestiges d’un campement : il y a là les traces, cendres ou pierres, d’une présence qui fut en ces mêmes lieux couleur et vie avant de s’évanouir à l’horizon (…) Et c’est là que brusquement l’équation, la redoutable et redoutée équation, s’inverse : du fond de l’absence, ce qui va soudain advenir en épiphanie sollicitée et miraculeusement produite par l’arbitrage du désir intensificateur, c’est la figure de l’aimée, qui fut l’hôte de ce campement. ». Cette scène se décline par la suite en épisodes successifs où s’aiguise à mesure la conscience de notre présence au monde jusqu’au surgissement d’une éblouissante vision d’envers : « Le désert ne serait-il pas, justement, l’immense lieu de cet immense doute en qui se formera plus tard, de doute en doute, l’intensité d’une créance et la faveur absolue d’une certitude ? » Intuition d’une parfaite réversibilité du désert et du désir vérifiable à l’occasion du franchissement de certains sas telles que l’expérience poétique, où la tentation du silence s’insinue au coeur même de la parole, ou l’expérience amoureuse, car la pulpe des lèvres si longtemps désirées laisse invariablement un goût de cendres dans la bouche de l’amant.
Et -natifs de quel zodiaque ?- nous effectuons notre bref parcours terrestre sous le double ascendant du soleil blanc du désert et du soleil noir du désir. Lumière sur lumière, décidément1.
1 Lumière sur Lumière
ou l’Islam créateur de Salah Stétié.
Les Cahiers de l’Egaré (Maison des Comoni 83200 Le Revest-Les-Eaux) 204 pages 120 FF
Réfraction du désert et
du désir
Salah Stétié.
Babel éditeur
(La Métairie Basse d’En Froment 81200 Mazamet)
96 pages, 120 FF
Poésie Les sables émouvants de Salah Stétié
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Eric Naulleau
Entre rêverie et essai, Salah Stétié, avec Réfraction du désert et du désir offre un livre éblouissant aux accents arabes des temps anciens.
Un livre
Les sables émouvants de Salah Stétié
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.