Deuxième roman de Dorothy West, et premier traduit en français, Le Mariage est le fruit d’une désillusion. Le racisme est un mal qui ronge toutes les communautés, la noire comme la blanche, où prévalent au fond les mêmes préjugés de classes. Le constat n’aurait a priori rien de renversant si l’auteur, aujourd’hui âgée de 89 ans, n’avait été, dans les années 20 aux États-Unis, une militante active de la cause noire au sein du mouvement artistique Harlem Renaissance dont elle est aujourd’hui la dernière représentante. Et si après avoir publié des textes manifestes dans des revues ouvertement politisées, la dame n’avait gardé le silence si longtemps. Dès les années 40, elle se désolidarise des mouvements noirs comme celui des Black Panthers dont elle n’approuve pas l’idéologie violente et préfère s’exiler sur l’île très chic de Martha’s Vineyard dont l’ambiance bourgeoise très confinée sert de cadre à ce roman dense et souvent prenant. L’histoire se passe dans l’Oval, quartier résidentiel noir, et s’ouvre un beau matin d’août 1953, la veille du mariage de Shelby Coles, fille d’une des plus prestigieuses familles noires de l’île, avec le jeune Meade, jazzman blanc venu de New York. L’approche de l’événement familial servira de révélateur aux rancœurs de chacun. À travers ce récit, Dorothy West retrace aussi le long chemin parcouru par cinq générations de Noirs, de l’esclavage à la réussite sociale, pour dénoncer au bout du compte la frilosité de leurs héritiers, calquée sur celle de la bourgeoisie blanche. Loin des sentiers battus du fameux « Black is beautiful », l’auteur dresse une autocritique qui aurait pu s’achever sur un « prolétaires de toutes les races, unissez-vous » si le roman n’avait été à ce point emprunt de bons sentiments chrétiens. Une telle chute n’eût d’ailleurs sûrement pas convenu à la prestigieuse éditrice américaine, Jacky Onassis elle-même, à qui le livre est dédicacé. Le mot de la fin reviendra donc à Shelby, « la couleur était un leurre. Pas l’amour. »
Le Mariage
Dorothy West
Traduit de l’américain
par Arlette Stroumza
Belfond
244 pages, 119 FF
Domaine étranger La couleur du coeur
juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16
| par
Maïa Bouteillet
Un livre
La couleur du coeur
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°16
, juin 1996.