Rien de plus violent que le goût de l’inconnu. Un cœur vivant est un cœur en partance. Caravanes se veut un lieu d’universelle rencontre qui accueille les récits, les blasphèmes et les chants.« C’est en ces termes aux accents ambitieux que les responsables de la publication (André Velter et bien sûr, Jean-Pierre Sicre, directeur de Phébus) évoquent leur travail. Et ils ne mentent pas ! Contrairement à Juan Rulfo (l’auteur du chef-d’œuvre mexicain Pedro Páramo) qui écrit dansLe Défi de la création, texte placé en ouverture de ce numéro 5 : »Nous sommes des menteurs ; tout écrivain qui crée est un menteur« . Les menteurs rassemblés dans cette très imposante (460 pages) livraison de Caravanes n’en sont pas, dans cette pratique, à leurs balbutiements. Chacune de ces »Littératures à découvrir", chaque nouvelle, chaque poème, chaque récit montre des qualités évidentes. En outre, si Juan Rulfo n’est pas un inconnu, qui peut se targuer de connaître l’œuvre de sa compatriote Inés Arredondo ? Ici, une nouvelle La Sunamite, l’histoire troublante et terriblement cruelle d’une jeune femme qui, acculée à épouser un vieillard sur son lit de mort lui rend la vie par son acte et par là même, s’offre son propre purgatoire. Dans le genre cruel, l’histoire d’Hamid, le personnage principal de la nouvelle En Cage d’Abdulrazak Gurnah, un écrivain de Zanzibar vivant en Angleterre, n’est pas moins corsée. Et que dire d’Abou-Moutahar Al-Azdî (écrivain arabe du XIe siècle) sinon que Vingt-quatre Heures de la vie d’une canaille, un texte polymorphe (extrait d’une œuvre dont les éditions Phébus préparent la traduction intégrale), est la pépite de cette livraison. Au regard de l’excellente qualité des textes publiés, ce n’est pas peu dire.
Entres autres raretés, Caravanes propose encore des textes inédits du Brésilien Joaquim Maria Machado de Assis, de l’Américain Thomas Coraghessan Boyle (magnifique), des Slovènes Boris Pahor et Edvard Kocbek, de l’Espagnol Miguel Hernandez, du Grec Nanos Valaoritis….mais aussi les reproductions des poètes-calligraphes Jean-Paul Guibbert et Hassan Massoudy…Les caravaniers sont de tous temps, de tous genres (lyriques, mystiques, expressionnistes, réalistes) et de tous pays. Pour eux, un travail très soigné de présentation et de traduction est réalisé. Une revue à l’image de la maison d’édition qui la publie. Du grand art !
Marie-Laure Picot
Caravanes N°5 - Éditions Phébus - 460 pages, 280 FF
Revue En suivant les caravaniers
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Marie-Laure Picot
Caravanes, une reuve annuelle aussi volumineuse qu’un annuaire, propose une trentaine d’auteurs à (re)découvrir. Un travail très impressionnant.
Un livre
En suivant les caravaniers
Par
Marie-Laure Picot
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.