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Domaine français Robert Marteau, cueilleur de rosée

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Didier Garcia

Un recueil d’articles pour fêter les soixante-dix ans de l’écrivain, et 556 sonnets pour célébrer la nature dans un journal vraiment peu ordinaire.

Richard Millet, à qui fut confié de diriger le cahier d’hommages Pour saluer Robert Marteau, commence ainsi son texte liminaire : « Rares les œuvres qui auront été, comme celle de Robert Marteau, tenues par la critique dans un silence aussi unanime. » Des propos où l’on sent poindre l’amertume et le reproche, et qui surprendront tout lecteur qui se sera aventuré dans cette écriture dense, méticuleuse, ouvragée avec la patience de l’orfèvre et la hardiesse de l’alchimiste, respectueuse de la langue au point de ne souffrir ni licence ni dérogation. Des lecteurs qui seront d’autant plus surpris qu’il leur suffira d’un seul volume, lentement lu afin que soient goûtées toutes ses saveurs, pour qu’ils osent avancer quelques mots audacieux réservés aux élus et parler de talent ou de virtuosité.
Un virtuose qui naît à Virollet, dans le Poitou, en 1925 -Pour saluer Robert Marteau célèbre donc de noble manière ses soixante-dix ans. C’est dans la campagne poitevine qu’il découvre la nature, apprend à la connaître, à y lire les mystères de l’origine du monde, et à l’aimer (ses proches le disent « l’ami de la nature et des animaux », avec cette humilité et cette déférence que l’on doit aux sages). Parrainé par Camille Bourniquel, qui assure alors la direction de la revue Esprit, Robert Marteau entre au Seuil avec Royaumes en 1962 -un choix de poèmes réédité trente ans plus tard dans l’excellente collection Orphée aux éditions de La Différence. En 1972, afin de vivre avec Neige, sa deuxième compagne, il s’installe à Montréal où il vivra douze années durant, obtenant la nationalité canadienne en 1976 et profitant de cet exil pour signer deux de ses plus beaux volumes : Mont-Royal et Fleuve sans fin - Journal du Saint-Laurent (deux journaux publiés chez Gallimard en 1981 et 1986). Un virtuose à la biographie discrète.
À la fois poète, romancier, traducteur, essayiste, journalier -il faudrait user de ce terme obsolète pour désigner cette activité qui consiste à noter journellement ce qui s’offre aux sens pour le restituer ensuite-, Robert Marteau a su bâtir en quelque trente ans une œuvre qui compte désormais une cinquantaine de titres. Une œuvre exigeante, placée sous le patronage d’une écriture poétique qui s’insinue dans tous les genres, non pas pour les subvertir (Marteau n’a rien d’un démolisseur), mais pour les enrichir et parvenir ainsi à un surcroît de sens…
Louange est de ces textes hybrides, à mi-chemin entre le journal et le recueil poétique. Ce nouveau volume juxtapose 556 sonnets compacts non rimés, rédigés en alexandrins blancs désencombrés de la césure, répartis sur trois années, de 1990 à 1992 (Liturgie comptait déjà 366 sonnets et Louange porte comme sous-titre Liturgie II). Pourquoi précisément le sonnet, qui semble aujourd’hui d’une autre époque ? Dans un entretien accordé à Chris Miller à l’occasion de ce cahier d’hommages, Robert Marteau explique ainsi cette étonnante prédilection : « Après Fleuve sans fin, depuis que je me suis rapatrié, j’écris des sonnets, exactement, sur un événement, une aile qui bat… Ils peuvent déboucher très souvent sur le mythe, sur la parole divine, mais j’en ai qui ne disent que l’instant où un moineau est sur une branche, c’est tout, comme les Chinois primitifs, où ils font juste le tremblement, avec un peu d’encre, d’une branche -beaucoup sont comme ça. » Si la forme de l’ensemble étonne, il n’en s’agit pas moins d’un authentique journal, attentif à transmettre, jour après jour ou presque, des nouvelles de ce monde.
Ses sonnets, Robert Marteau les compose en marchant -comme Apollinaire et Fargue, il est un arpenteur infatigable qui remplit chemin faisant ses « paniers-sonnets », selon l’heureuse expression de Jacques Réda. Pour restituer ensuite ses trouvailles, il lui suffit de 168 syllabes (14 vers de 12 pieds) qu’il fait suivre d’une parenthèse où figure une date, parfois accompagnée d’un nom de lieu. On accède ainsi, à la faveur de cette signature apposée au bas du poème, aux lieux où le poète-peintre aime à villégiaturer : Ville d’Avray, Saint-Cloud, Compiègne, Attichy, Marissel « dont Corot peignit l’église,/Son chevalet planté sur le bord du Thérain/Qui se perd un peu plus haut dans l’Oise », Trouville, Aulnay-de-Saintonge (haut lieu de l’art roman), et bien sûr Virollet, son village natal. Des bourgades que l’on découvre serties dans une nature redevenue sauvage et rendue à son originelle pulsation. « En ce monde admirable, incompréhensible,/Que chaque sens offre à la contemplation », le flâneur averti qu’est Robert Marteau n’oublie pas Paris qu’il courtise dans ses jardins (des Tuileries ou de Bagatelle, des Plantes, de Notre-Dame ou du Luxembourg).
Stylo en main, Marteau « pérégrine » ainsi qu’un pèlerin, sachant « le monde offert au cueilleur de rosée », consigne sur de petits carnets les variations et les altérations qui s’imposent à sa vue : les tulipiers « font fleur de tout leur bois » à l’approche du printemps, « les lilas fleurissent/Comme si c’était Seurat qui les eût peints »… Pour saluer ces modestes épiphanies la notation est brève, discrète, pudique, laissant le vers s’éployer ensuite et s’ouvrir au règne animal : c’est que pour Robert Marteau la « Poésie est rapport/Entre les plantes, les animaux et les choses/Qui peuplent la terre et que l’esprit (lequel tient/Par quelque part du ciel) va essayer de dire ».
Dans ces exercices d’admiration quotidienne (la louange en est l’éloquent témoignage), le poète journalier n’aspire semble-t-il, à l’imitation d’un Lorrain ou d’un Poussin, qu’à révéler « à l’œil vague et vacant ce que la nature est,/Ce qu’elle signifie ». Cette révélation, faite sans la moindre vanité, suppose d’abord une certaine précision lexicale : « La coronille peuplée/De papillons voisine avec le prunus rose. » Mais elle suppose aussi tout un cortège d’images : « un soleil/Brouillé s’essouffle à contrecarrer les nuages/Que l’océan sue et lui envoie au visage », « Le cyprès indique exactement l’heure par/Son double étendu au sol »… Chaque lecteur butinera comme il lui plaira dans ces 556 sonnets pour constituer sa propre anthologie de métaphores.
On pourrait s’en tenir à peu près à cela, mais ce serait courir le risque de passer à côté de la vraie réussite de ce journal poétique : parvenir à instiller quelque peu d’insolite au cœur de notre monde et nous le léguer, dans une restitution douce et colorée. « N’est-ce pas insolite à la fin du vingtième/Siècle d’entendre un coq vocaliser ? », s’étonne Robert Marteau. Insolite sans doute au même point que ce poète qui, dès le premier sonnet, nous entretient non de lui-même mais des merles qui « courent au buis », du corbeau, des mésanges, des ramiers qui « sonorisent l’air » ; insolite comme ce Paris que nos yeux se sont déshabitués à voir : « Comme de gros chats qui ronronnent, les péniches/Se poussent sous le soleil. »
Selon André Le Vot, l’art de Marteau est de « Faire regarder, apprendre aux autres à voir ce qu’ils ne savaient pas voir ». On aimerait simplement ajouter : et montrer que « la géographie est déjà poème ». Ceux qui liront Louange s’en souviendront.

Didier Garcia

Louange Pour saluer Robert Marteau
Robert Marteau
Dirigé par Richard Millet
Champ Vallon Champ Vallon
293 pages, 145 FF 256 pages, 155 FF

Robert Marteau, cueilleur de rosée Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.
LMDA PDF n°17
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