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Poésie Pierre Dhainaut : la beauté en toute chose

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Marc Blanchet

L’anthologie Dans la Lumière inachevée de Pierre Dhainaut propose un choix de poèmes sur trente ans. Une oeuvre méconue à (re)découvrir.

Dans la Lumière inachevée

Passages par le choeur

En ces périodes troublées de remise en question de l’art contemporain, on s’aperçoit que la poésie est victime de la même malédiction : coupure entre le public et l’artiste, méconnaisance de vrais auteurs au profit d’écrivains à l’inspiration douteuse et surtout prépondérance dans les librairies des ouvrages parus chez de « grands » éditeurs. Une véritable histoire de la poésie pourrait remettre les pendules à l’heure : les bons auteurs sont plus nombreux qu’on peut le penser, encore faut-il chercher avec parfois une persévérance qui relève presque du don.
En publiant une anthologie des poèmes du français Pierre Dhainaut sur une trentaine d’années (1961-1991), le Mercure de France répare une injustice. Pour certains, il ne s’agira pas d’une découverte : Pierre Dhainaut bénéficie d’une écoute déjà importante dans le milieu de la poésie. Ici, il s’agit d’élargir l’audience et de mesurer par une sélection de poèmes effectuée par l’auteur l’importance d’une « voix », comme il de bon ton de dire dans le milieu de la poésie, quitte à creuser peut-être encore plus le fossé.
Dans la Lumière inachevée présente des poèmes extraits de différents recueils, notamment le Poème commencé, Pages d’écoute, Terre des voix, Un Livre d’air et de mémoire, Le Don des souffles, Prières errantes. L’ensemble a été retouché. Pierre Dhainaut s’en explique dans une courte postface intitulée Notes : « Une voix change-t-elle à ce point en trente années que l’on ne soit pas capable de se relire sans s’irriter ? (…) Ces textes abandonnés, ces textes réduits à un rôle de jalons ou d’annonces, alors que sont privilégiés de plus en plus ceux d’aujourd’hui, n’ai-je pas établi un ordre arbitrairement ? Ou pire : n’ai-je pas censuré ? Tel est le défaut en général des anthologies, le rythme est trop évident, l’auteur en dépit de ses scrupules y devient le maître du jeu. J’ai proposé un parcours, d’autres étaient possibles, je n’ai pas cherché du moins à en dissimuler les hésitations et les répétitions ». Le regard de Pierre Dhainaut sur son œuvre offre un mélange de réserve, d’humilité et de lucidité énoncé sur le ton de la confidence qu’on retrouve dans ses écrits. Cette brève postface exprime à elle seule une poésie sans cesse en écoute, bercée par une mer omniprésente, une mer qui semble enfanter le vent qui souffle sur les rivages.
La parole de Pierre Dhainaut est une parole consciente qui prend à témoin le genre humain avec espoir et nostalgie à la fois. « De qui sommes-nous séparés ? Nous entrons seuls,/ nous le restons. Serrer les bras encore,/ évitons-nous qu’ils ne faiblissent davantage ? Nous éprouvons combien la poitrine est étroite,/ l’haleine rare. Près de qui sommes-nous pourtant/ à la limite de nos forces ? Au fond des chambres/ nous rejoignons tous ceux qui sont venus/ dans la détresse ainsi que la ferveur,/ dans la durée ardente : pas de frontières intangibles,/ il n’y a pas d’écoute obscure. Comme l’eau sous la glace,/ le cœur lorsque les draps se froissent, oppressent,/ ne fût-ce qu’un murmure, une voix continue de sourdre,/ elle cherche une issue. Elle suffoque la première,/ très vite, entraînant son visage. Ensuite la distance/ que nous fixons, cette règle non plus ne varie pas. » Ce large passage extrait du triptyque « Trois Séquences de veille » « fixe » les caractéristiques de la poésie de Pierre Dhainaut. L’homme et sa destinée y sont évoqués par un « nous » ouvert à tous, un « nous » en quête d’expérience et en rappel de celle déjà vécue. L’être humain ne trouve d’allégeance que dans sa rencontre avec une lumière qui n’est pas seulement spirituelle : cette source lumineuse est présente en toute chose, elle existe charnellement, elle demande une appréciation sensible de la vie. La qualité première de la poésie de Pierre Dhainaut est son accessibilité. L’extrait cité en témoigne : le discours se fait dans l’accord de la syntaxe et de la pensée. Pas de ruptures, d’accroches, pas de violence faite à l’écrit : la nécessité d’une paix intérieure a investi la forme littéraire. Pierre Dhainaut ne se repose pas sur cette écriture. Dans d’autres textes, la brièveté d’une impression, la manifestation éphémère du monde qui nous entoure trouvent dans les blancs imposés au texte une juste traduction. Mais la succession de ces haïkus habilement exprimés révèle à nouveau une permanence des sensations, une attention du regard qui évite une ascèse forcée ou trop typée : « Aucune borne,/ un oiseau/ seulement/ sur cette pierre »… « Oublie/ le poème,/l’air nous exauce »… « Approfondis/ chaque minute,/ de goût de menthe,/ chaque pas/ y respire. »
La poésie de Pierre Dhainaut se fait dans la marche : la nature s’y révèle dans son essence et ses mouvements sont chargés de sens puisqu’ils rappellent au poète les sentiments et les pensées contradictoires de ses semblables. Une telle sincérité triomphe des modes. Musicale en bien des poèmes, aérienne du début à la fin, déployant des images de brume, de vent et de dunes, l’écriture de Pierre Dhainaut est bien sûr proche de celle d’Yves Bonnefoy ou de Philippe Jaccottet : « Qu’un chant jaillisse, d’une nuit, en décembre,/ et nous ne dirons plus le mur, la détresse implacable :/ dieux de la voix, nos dieux, lorsqu’ils tressaillent/ l’air s’éternise avec des mots qui meurent,/ toute joie est leur terre où s’illuminent les visages. » Peut-être parce qu’il ne s’est pas pris aux réflexions des salons parisiens et aux « comment-taires » de ses contemporains, Pierre Dhainaut évoque, nomme, fait ressentir « l’être » devant lequel nombre de poètes sont tombés en fascination, lui sacrifiant leur inspiration et leur spontanéité pour un discours finalement sans profondeur et surtout peine-à-jouir. Certes, la poésie de Pierre Dhainaut n’est pas dyonisiaque. L’auteur est simplement fidèle à sa nécessité d’écrivain et cela suffit à assurer l’intelligence de son œuvre. « Allume un feu, la place est prête, ouverte,/ dans la maison comme dans la clairière,/ ceux qui veilleront après nous seront nos hôtes. » Pas d’abnégation pour autant mais une vérité : l’artiste prépare un autre monde pour l’être humain, non pas un royaume délirant mais une alternative, un passage dans la pluralité de ceux qui apparaissent. Si le lecteur consent, s’il sait jouer avec lucidité sur tous les modes de lecture de la modernité, il reconnaît sans problème l’importance du poète et sait écouter sa langue au plus profond du cœur. En terminant cette anthologie sur des textes inédits intitulés Parole donnée aux paroles, Pierre Dhainaut aurait pu contredire cette approche par un savoir quelque peu universitaire, sorte de passage obligé dans lequel s’engouffrent nombre d’auteurs sexagénaires. L’écueil est évité. Ces textes peignent le rapport de l’homme au langage : un apprentissage constant éclairé par la compassion. C’est à une dimension adulte que le poète convie, à travers un souffle qui est celui qui nous maintient en vie et fait naître la musique. Son nouveau recueil, Passage par le chœur poursuit, dans une lumière plus voilée, cet amour du vivant qui sommeille en chacun de nous.

* Rappelons le numéro 19 de la revue Polyphonies (La Différence) avec une interview et des poèmes inédits de Pierre Dhainaut.

Marc Blanchet

Pierre Dhainaut
Dans la Lumière inachevée

Mercure de France
238 pages, 130 FF
Passage par le chœur
La Bartavelle éditeur
86 pages, 70 FF

Pierre Dhainaut : la beauté en toute chose Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.
LMDA PDF n°17
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