Massin est l’homme-orchestre du livre : graphiste, écrivain, éditeur et journaliste, il a habillé une foule d’ouvrages (des productions du Club français du livre jusqu’à la collection Folio) et écrit près de vingt ouvrages parmi lesquels des romans biographiques (Une Enfance ordinaire, Le Pensionnaire sous le pseudonyme de Claude Menuet au Seuil) ou historiques (La Cour des Miracles, Payot, 1991), des essais sur la typographie (La Lettre et l’image, Gallimard, 1993) et des livres d’initiation alphabétique à destination des enfants (Jouons avec les lettres, Seuil, 1992).
La publication de son Journal en désordre qu’il avait entamée en 1988 avec Continuo (IMEC) ne laissera pas de surprendre à nouveau. D’abord parce que Massin est un diariste anachronique qui ne lance que des fragments sans les dater. Ensuite parce qu’il mêle à ses souvenirs toute une théorie d’aphorismes, de réflexions, de citations, de commentaires de lecteur, de mélomane ou de citoyen…
Il s’en suit que ses mémoires frappés d’entropie révèlent un esprit sautillant. Ils portent attention à mille objets, de l’esthétique des choses, des images et des sons à la conduite automobile, ne rechignent pas à la blague et même à la provocation. Mais au fil de pages familiales douloureuses, de contemplations cosmiques répétées, Massin monte un puzzle moins frivole. On y découvre la figure vieillissante d’un être écrasé par « cette pesanteur qui, par degré, vous tire vers la tombe ».
Massin songe à la mort. Son regard embrasse le passé. Alors, pour la postérité, il relate les bouts de vie qu’il a partagés avec l’ami Nimier, généreux mais facétieux, avec Gallimard fatigué qui refusait de déjeuner avec Gide depuis qu’il avait appris son homosexualité, ou avec Giono. Ce sont aussi ses conférences à Tunis ou New York, ses interviews de Lowry ou de Doyon, Brassaï et Doisneau hospitalisés, Ponge, Aragon, Berl, Cendrars, Mac Orlan, Ionesco lorgnant sur la bouteille… Des petits riens qui forment un beau bouquet à l’air grave, un memento mori.
Mieux qu’une autobiographie, ce texte polymorphe donne une idée de l’individu Massin. S’il n’avait que cette vertu, son livre patchwork pourrait briller de ne pas être comparable à l’égrotante récapitulation de Robert Laffont, un autre éditeur qui n’a pu cacher son Léger Étonnement avant le saut (Robert Laffont, 235 pages, 99 FF).
Éric Dussert
Journal en désordre, 1945-1995
Massin
Robert Laffont
429 pages, 139 FF
Histoire littéraire Allegro ma non troppo
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Éric Dussert
Un livre
Allegro ma non troppo
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.