Un homme entreprend le récit de sa vie qu’il adresse à son fils avec le vague espoir de faire la lumière sur leur tragédie commune. Qu’elle est-elle ? On l’apprend seulement à la fin du roman après une suite de flashes-back très évasifs reliés entre eux par une obsession : être un père. Orphelin (ses parents ont été déportés) recueilli par son grand-père fossoyeur, le narrateur évoque une enfance solitaire, faite de l’odeur mortuaire de la terre, du silence des cimetières et de la dureté du vieillard obsédé par la tombe. Le vieil homme, absent au monde des vivants ne saura remplacer le père : « Enfant, je me cachais souvent derrière les tombes pour l’observer. Oserais-je l’écrire -et surtout en faire état à mon propre fils ? C’est pourtant la vérité : certains jours, il ouvrait son pantalon et sortait en hâte son sexe très court et très dur pour se masturber. Il levait ses yeux fermés vers le ciel et ne tardait pas à être agité de violents soubresauts qui le ramenaient sur terre en creusant un peu plus la fatigue de son visage. » Adulte, une passion pour les plantes arrache le narrateur à sa condition et fait de lui un grand pépiniériste. C’est à partir de ce motif trop séduisant -le petit-fils rendant à la terre sa plus noble fonction- que les choses se gâtent… Le personnage est rattrapé par le tragique de sa propre existence, et le lecteur, ostensiblement, décroche. Le narrateur a un fils dont on sait peu de choses, sinon qu’il a été lui aussi rejeté par ses parents et qu’il a une petite amie. Laquelle fiancée, pianiste virtuose et ensorceleuse, devient la maîtresse de son père. De leur passion, forcément impossible, naît l’enfant voué d’emblée à la tombe, l’accordeur. On l’aura compris, L’Accordeur est le récit d’une impossible paternité. Malheureusement, il semble qu’Alain Veinstein soit tombé, à l’instar de ses personnages, dans le piège d’une obsession : vouloir à tout prix montrer l’irréversibilité d’une destinée. Tant et si bien qu’excepté le fossoyeur auquel il faut reconnaître une
L’Accordeur
Alain Veinstein
Calmann-Lévy
234 pages, 110 FF
Premiers romans Mortelle filiation
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Marie-Laure Picot
Un livre
Mortelle filiation
Par
Marie-Laure Picot
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.