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Nouvelles Passe Noël

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18

Monique Clémenti n’aime pas se présenter. Elle préfère écrire que parler. Tour à tour standardiste, cinéaste, professeur ou vendeuse, elle s’avoue paresseuse et casanière mais reconnaît dépenser beaucoup d’énergie à des aventures artistiques, humaines, risquées. S’intéresse beaucoup aux revues littéraires. Elle a écrit des nouvelles, des romans, des poèmes. Ses choix littéraires la conduisent vers Annie Saumont Je suis pas un camion (Gallimard), Mireille Best Un méchant petit jeune homme (Gallimard). Parmi ses dernières acquisitions : La Passion de Djuna Barnes (Flammarion). Elle achète régulièrement les livres du Serpent à plumes, Arfuyen ou Takuboku.

Noël renverse sur la ville un encrier de couleur qui écrit le mot fête. Dans les jours gris s’allument les vitrines.
Dernier jouet de pacotille offert aux vivants oppressés, ou légers, au cœur de l’hiver.
Il y a tout. Des familles fêtent Noël avec des rires qui grincent un peu. Jeunes, Martine, Nicolas, Élisa, Hélène, ivres du vin qu’on trouve, regardent tomber la neige. Tantale réveillonne seul.
Noël est une épingle à tête en brillants que la Fée Vie enfonce dans le satin des robes, quelquefois dans les cœurs. Tantale a des tas de rendez-vous. Il a rendez-vous avec le froid, il a rendez-vous avec le soleil du matin, avec les bruits, le gris des rues, la lune le soir. Il a rendez-vous avec les animaux du zoo qu’on voit à travers les grilles et les fleurs des balcons qu’en levant la tête on aperçoit.
Cet univers est trop sordide oui vraiment pour qu’un peu de paillettes lui donne un air de fête. Nous avons terriblement besoin des enfants pour nous protéger, même si nous leur racontons le contraire. Avec eux nous nous protégeons de la laideur qui est ce qui fait le plus mal au monde. Et nous ne savons plus nous émerveiller, ils s’émerveillent.
Des adultes je connais ceux qui regrettent les « dépenses » et ne se réunissent plus, ceux que la passion laisse désorientés, et qui s’éveillent dans une atmosphère de kermesse, ceux qui s’aperçoivent tout à coup qu’ils sont seuls. Je connais des enfants blasés, des vieux atterrés d’avoir raté leur « colis de Noël », des gens aux chaussures bien cirées -on ne voit qu’elles- qui arpentent les Champs (Élysées) d’un air conquérant creux. Je connais certains qui se réunissent autour d’une table, sont si heureux de se retrouver. Je connais des adolescents qui se demandent si ça va continuer longtemps ce gâtisme et s’énervent de sentir qu’ils n’inventent, eux non plus, rien de mieux.
Des amoureux s’endorment blottis… Je connais si peu de monde. Il y a des paradis chauds, luxueux, et des paradis simples fragiles. Noël ce sont les barques de la mort qui ont mis des guirlandes. Ce sera le vent qui se battra avec les nuages, le désespoir qui mordillera l’espoir. Ce sera la barque de la terre à vau-l’eau dans la pollution et la guerre mais peinturlurée. Noël fardera le chagrin de vivre. Sera juste un peu mieux que son absence.
Ah racontez-moi une histoire, la vie entre deux battements de cœur.
Tantale, comédien, qui récite des poèmes tous les soirs dans deux cabarets, s’est levé d’assez bonne heure, cette veille de Noël.
Il s’est réveillé, a repris mouvement dans les odeurs fades de sueur et de verres sales, a soulevé les paupières, légères, l’intérieur de son cœur pesant. Il s’est assis, a pris un livre, a commencé à lire, à réciter, à refermer le livre, à se souvenir.
Tous les jours, ainsi, il apprend quelques vers, choisit, devant ses livres comme d’autres devant bracelets et colliers.
Dans la journée il passe un couloir de situations banales et savoureuses, porteuses de traces de douleur ou de gaieté, « il flotte », on dit. Le soir, il vit. Il entre dans le petit café-théâtre où le public attend. Ils sont peu ou beaucoup. Il commence. Entre les tables et les buveurs, il dit des vers comme on se bat. Il défend une cause invisible, innommée. Il faut sourire, juste assez, être grave, pas trop. Il faut surtout que les paroles existent, pas déclamer, pas d’écran de voix ou de gesticulations entre ce que disent ces mots et ceux qui écoutent. Il fait cela en funambule, dans un décor de regards et de verres vides. Il y a toujours dans un coin de la soirée quelqu’un d’un peu différent, et vers la fin une étrange ivresse. Le cachet est léger. Il y a les copains, ceux qui chantent, qui ont un « numéro » aussi. Et, loin après le tour dans la fin de la nuit, des rencontres, cherchant à passer un moment, à connaître, à aimer dans le meilleur des cas.
Il enroule son foulard autour de son cou comme on met une barrière, mais il regarde furtivement, regard brillant. Entre l’équilibre de la peur et celui du sourire la soirée passe. Ensuite il y a la rentrée dans la lumineuse pauvreté de la chambre, seul ou accompagné. Il y a les heures rapides du sommeil. Puis à nouveau, seul ou accompagné, un lever pas matinal. Et de toutes les heures c’est peut-être la meilleure. Les lumières défaites, le jour indécis, les copains -rires et pointes- enfuis. Avant le brillant de la soirée la journée est austère comme un verre d’eau. Le chat des voisins vient regarder par la fenêtre sur le toit. Le café brûle la gorge. Chaque heure a son parfum. Celle-là est peut-être délicieuse, même si le miroir dit « le temps passe vite », même si la chambre petite dit « le temps passe entre des barreaux ».
Noël matin ajoute un parfum spécial, amer peut-être à cette série de levers. Mais il sait casser le cliché de la mélancolie « Allez-vous en d’où vous venez ennuyeuse mélancolie »… il sort ses richesses, ces mots brûlés par d’autres.
Ce matin il hésite… « bois du vin, tu ne reviendras pas en ce monde… » Il relit le poème de Omar Khayyam. Ou alors cette lettre de Pasternak « … mais dans le monde entier il faut payer le droit de vivre uniquement par les réserves de son âme… merci de votre souvenir et de votre amitié… » Finalement il écrit sur la vitre embuée « Aurélia ».
Laissons-le à son mystère.

Ce Tantale je ne l’invente pas tout à fait.
Je l’ai croisé. Pour faire dire au Noël d’aujourd’hui autre chose, je promène sa silhouette à l’envers du décor.
Ainsi je fais à peu près comme tout le monde. Habituellement on invente les enfants. Oui c’est fou et doux. « Enfants… enfants levez des yeux émerveillés ». Et eux blessés déjà, souvent je crois me souvenir, le font. Ils crient d’émerveillement et de joie. C’est fou.
Passe Noël. Ne passe pas.
Monique Clémenti

Passe Noël
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.