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Nouvelles La vierge et l’enfant

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18

Depuis que le MdA N°4 (oct. 93) a publié sa nouvelle, Maleterre, ce jeune homme de 33 ans n’a pas quitté Perpignan.Il enseigne toujours le français et tente actuellement de passer l’agrégation. Mais entre-temps les éditions Alfil ont publié sont premier recueil de nouvelles, Maleterre. Un livre qui sera suivi d’un deuxième en janvier prochain avec Absent pour le moment (Éd. du Trabucaire) et un troisième en février, La Mie des livres (Le Castor Astral).Dernier livre acheté : La Verrière de Régine Detambel (Gallimard).

Il fait nuit noire. Les lumières de la ville ou les clairières de la campagne ne peuvent la blanchir, c’est une nuit de cave, de puits ou de chevelure folle.
La nuit tourne autour de l’ampoule nue. Quand les obus éclatent, la lumière s’emballe, la nuit s’affole ! La terre du plafond tremble, l’ampoule court dans tous les sens, se cogne aux murs, plonge dans les plâtras, s’enfonce dans les yeux…
Cela pourrait se passer dans une église, une mosquée, un hôpital, ou même un train, puisqu’ils ont bombardé les clochers, les minarets… Cela se passe dans une cave. Aux premières détonations, les femmes ont pris leurs enfants et se sont terrées. Maintenant, elles ne paniquent plus. Elles ont pris l’habitude de ce trou noir au milieu de leurs nuits, et elles ne pensent qu’à bien faire, à ne pas perdre de temps, à emporter des couvertures, de l’eau, du pain. Même les enfants semblent avoir compris, ils ne pleurent plus.
Cela pourrait se passer n’importe où dans la ville. La boue du fleuve charrie des pleurs et noie des cadavres. Les grands hommes des jardins publics sont en ruine : les obus ont équarri leurs chevaux de pierre. Les carrefours sont des champs de bataille, et les pâtés de maisons des villages de gravats. Cela se passe dans la chevelure de la mère. Le plus jeune de ses enfants y est enfoui. Les yeux grand ouverts, il attend. Parce qu’elle ne connaît d’endroit plus sûr, et qu’elle ne peut le ramener dans son ventre, la mère le garde là, dans sa sombre toison, et elle le croit autant à l’abri que si elle l’avait caché dans la frondaison d’un grand arbre.
Il n’y a que des vieillards, des femmes, des enfants. Les heures passant, la plupart se sont endormis, sur la toile des sacs, contre les murs, ou bien debout, dans leur ombre. La mère est pendue au fil électrique. L’enfant dans la chevelure se tait. Ses yeux immensément ouverts semblent seuls tenir l’ampoule allumée. Du fond de la cave, ses yeux maintiennent le rai de lumière sous la porte. Du fond du puits, ils retiennent l’étoile au-dessus de la margelle…
Les corps remuent. Parfois une chaussure fouille la terre, une poitrine tousse, des lèvres sucent un mamelon. Personne ne parle. Il a bien des murmures au bord des lèvres… Des prières ? Un morceau de pain sous la dent ? Des berceuses, des insultes ? La bouche de l’enfant tète la lumière de l’ampoule.
La mère a oublié le poids de son enfant, il est comme un bout d’elle-même, une proéminence naturelle de sa chair. Une chaleur sur sa nuque, un souffle dans ses cheveux. Un spasme dans son ventre. Et quand un obus déchire la rue, au-dessus de leurs têtes, que des morceaux du plafond tombent, tout en dormant elle serre l’enfant plus fort encore, cherchant à le faire entrer en elle, à l’ensevelir sous sa peau.
Sur les berges du fleuve, elle a connu des étés, il y a longtemps. Le refrain des chansons a narré ses amours de jeune fille. Sa tête a tourné comme ses jupons, et sous ses jupons le ciel a chaviré. Puis, dans la nuit des buissons, des mains l’ont saisie, des rires l’ont couchée, des bouches ont mangé sous ses linges. De l’or s’est immiscé dans l’herbe noire de son pubis. À l’automne, les statues équestres des squares ont surpris des baisers, des promesses… Ces mêmes squares où maintenant les hommes coupent les arbres et font du feu, où des garçons en haillons chevauchent les décombres d’un étalon, escaladant les débris d’un homme illustre.
L’enfant n’a pas dormi. Muet, immobile, l’ampoule folle au fond des yeux, il a attendu que le noir de la nuit disparaisse, que les obus cessent d’éclater dans ses orbites, et la terre de trembler dans sa poitrine.
Longtemps il a attendu que la cendre blanche du plafond cesse de salir la chaude chevelure.
La mère s’est mise à crier. Irritées, les femmes se sont tournées vers elle. Se taire est leur seul courage, leur unique orgueil. Elles craignent que leurs enfants se mettent à pleurer, sans doute aussi ont-elles peur d’elles-mêmes, de leurs sanglots qui racontent… Mais la mère ne les voit pas, ne sent pas leurs reproches, ce n’est plus une femme, à peine un être humain, c’est une douleur vivante, une mère. Elle tient l’enfant au bout de ses bras, tendus, tordus, et elle hurle. L’enfant la regarde de ses grands yeux vides. Elle le tient au bout… comme une chair arrachée à son corps. L’enfant ne saigne pas. Il ne lui manque ni bras ni jambe. Mais ses cheveux portent la fin du monde ! La mère hurle, tourne sur elle à une vitesse insensée, fait trembler le sol, fuir la lumière, chavirer le plafond ! Sa chevelure folle s’enroule autour de l’ampoule, affole le jour… L’enfant rit, avec sa tête d’enfant et ses cheveux de vieux.

La vierge et l’enfant
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.